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TANNERY. — le concept scientifique du continu

γνώμς ἣ περὶ ψαύσιος κύκλου καὶ σφαίρας (sur une divergence d’opinions ou sur le contact du cercle et de la sphère), titre assez mal expliqué jusqu’à présent, me paraît se rapporter à une discussion soulevée par Protagoras et mentionnée par Aristote (Métaph., II, 2) :

« Les lignes sensibles ne sont pas telles que le dit le géomètre, car il n’y a rien dans les choses sensibles de rigoureusement droit a ou rond ; et ce n’est pas en un seul point que le cercle touche la règle, mais la vérité est ce que disait Protagoras contre les géomètres. »

Ici il s’agit de la légitimité des déductions géométriques appliquées à la nature ; la question est donc d’un autre ordre que celles soulevées par Zénon, et sa dialectique était impuissante à la résoudre, aussi bien qu’elle ne pouvait trancher le débat entre les partisans de la divisibilité infinie de la matière et les partisans des atomes. Il me suffit de remarquer que Démocrite devait probablement prendre plutôt parti contre Protagoras.

IV. La théorie des ensembles.

Le point de vue auquel la polémique de Zénon d’Élée avait conduit les mathématiciens n’a guère subi de modifications jusqu’à ces derniers temps ; les discussions auxquelles a donné lieu le principe du calcul infinitésimal portent en réalité sur une question sensiblement différente, quoique assez voisine. On pouvait cependant se proposer d’approfondir la relation du point au continu ; si ce dernier n’est pas une somme de points, il semble cependant que l’on doive pouvoir en donner une définition construite avec la notion du point, sans employer d’ailleurs celle du mouvement, qui implique le continu. Un mathématicien allemand, M. Georg Cantor, est récemment entré dans cet ordre d’idées, et ses importants travaux, réunis dans les Acta mathematica (2-4, 1883), l’ont amené à des conclusions qui m’ont paru susceptibles d’intéresser les lecteurs de la Revue, s’il m’est donné, dans l’analyse que je vais essayer, de les exposer avec une clarté suffisante.

Soit deux ensembles d’objets bien définis, en nombre illimité, par exemple la série des nombres entiers positifs et celle des nombres pairs positifs, il peut se faire, comme dans l’exemple choisi, que l’on puisse faire correspondre ces deux ensembles, élément à élément, par une opération à sens unique, c’est-à-dire que l’un quelconque des éléments étant pris, il ait dans l’autre série un correspondant et