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Or, c’est cette formule, prise dans ce sens, que combat Zénon en l’exprimant en termes à très peu près identiques, en tous cas plus clairs pour le public : πολλά ἐστι τὰ ὄντα. Expliqués dans ce sens, ses arguments apparaissent comme nets, pressants, irréfutables, même ceux où l’on ne voit d’ordinaire que de simples paralogismes.

Le succès de Zénon fut complet ; ses adversaires ne pouvaient lui répondre ; si la définition pythagoricienne du point, inoffensive au fond, subsista par tradition jusqu’à Euclide, si l’École ne fit que s’attacher davantage à la formule : « les choses sont nombres, » elle ne lui donna plus qu’une signification symbolique, à tendance idéaliste, celle qu’on lui attribue d’ordinaire dès le temps de Pythagore, mais qu’il ne faut pas faire remonter avant Philolaos ; d’autre part, l’antique conception dualistique fut transformée et mise d’accord avec les progrès de la pensée par Leucippe et Démocrite sous la forme atomistique, qui rallia ultérieurement une importante fraction pythagoricienne (Ecphante, etc.).

II. Les arguments de Zénon.

J’ai à justifier ma thèse par un examen circonstancié des arguments de Zénon et à déterminer jusqu’à quel point ils furent entendus dans leur sens véritable par les témoins de l’antiquité qui nous ont conservé ces arguments.

Avant tout, Aristote ne doit pas s’y être trompé ; c’est ainsi seulement qu’on peut expliquer l’attitude qu’il prend à l’égard de Zénon. Au fond, il sait bien que sa doctrine propre sur le sujet en question est identique à celle de l’Éléate ; mais comme forme, il lui reproche d’avoir procédé grossièrement (φοτικῶς)[1] et de n’avoir pas distingué, comme il a grand soin de le faire pour son compte, les différentes acceptions du terme « Un » et du terme « Être ». Cependant, il ne s’attache nullement à critiquer les arguments de Zénon, sauf ceux concernant le mouvement, qui avaient acquis comme paradoxes une grande célébrité et sur lesquels un malentendu est si facile.

Eudème, qui va nous fournir les textes les plus précis, semble déjà ne connaître la question que par tradition et se laisse aller à donner à Zénon une position sceptique.

« On[2] rapporte que Zénon disait que si quelqu’un lui enseignait ce

  1. Métaph., II, 4, 29.
  2. Simplicius, Phys. 21 a, citant Eudème.