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reviennent sans qu’il les remarque. Les plus anciennes, les plus fréquemment renouvelées sont dans ce cas : j’entends les perceptions ou conceptions essentielles, les associations et les inférences proprement humaines, celles dont l’hérédité et le milieu général font à peu près tous les frais. C’est ainsi qu’il faut comprendre, sans trop l’élargir, cet aphorisme de Spencer : « La nature s’est chargée elle-même de la première instruction des enfants. » Au même point de vue, Bain a pu dire aussi : « Nos premières perceptions ont principalement pour objet tout ce qui sert au développement de la vie et des actions utiles à la vie. » Les enfants, de deux à quatre ans, acquièrent d’eux-mêmes ou par leurs rapports avec leurs parents et leurs camarades, une prodigieuse quantité de ces notions communes à l’espèce et à la race, avec nombre d’autres notions dérivées des premières, et marquées du sceau de l’éducation spéciale et du caractère individuel. Leur force d’assimilation est à tel point fraîche et vive, que l’intuition leur suffit presque toujours pour saisir au vol les impressions directement utiles ; s’agit-il de les reproduire, de les confronter ou de les lier avec d’autres, l’imagination et la suggestion tout animales font l’affaire : à quoi bon dès lors la conscience, la réflexion, l’effort de l’analyse ? C’est donc à peu près sans conscience qu’ils apprennent les lois générales de la nature, de la vie, de la société, et celles mêmes de l’esprit, car il y a un psychologue au fond de tout enfant[1]. Pour ce qui est des connaissances plus spéciales, objet d’instruction propre, un enfant de trois à six ans doit en avoir appris à la maison ou à l’école, par le fait de sa curiosité utilitaire ou esthétique, une quantité relativement considérable. C’est là une base déjà complète de toute la science future, du concret à l’abstrait, des mathématiques à l’astronomie, en passant par la physique, la chimie, l’histoire naturelle, la grammaire, la rhétorique, la logique et la morale. Tout cela, d’ailleurs, très peu conscient dans l’acquisition, encore moins dans la reproduction ; mais aussi rien de plus facile à ramener dans la conscience.

Vérifions le fait. Un enfant âgé de six ans me parle de ses travaux et de ses luttes scolaires avec un sentiment de pleine confiance en lui-même. Je transcris son bout de lettre. « Je pense que tu vas être content. J’ai le premier prix d’excellence, avec dix points d’avance sur l’élève qui a le second. Comme, ayant la rougeole, il n’a pas pu composer, j’ai été premier. Mais, quand même il aurait composé, j’aurais sans doute été le premier, parce que je suis très fort en

  1. Voyez, dans mon étude sur Jacotot, le chap. intit. L’enfant psychologue et logicien.