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BEAUNIS. — l’expérimentation en psychologie

la vue acquièrent la précision de la réalité. Dans le rêve, il semble parfois en être ainsi, du moins chez certains individus, car ce n’est pas le cas chez moi, et chez les aliénés, les hallucinations atteignent sans doute cette même netteté. Chez les somnambules on pourrait probablement arriver au même résultat en suggérant la même hallucination à plusieurs reprises et en y insistant ; mais je ne voudrais pas tenter cette expérience qui à mon avis ne serait pas sans danger. Il est bien rare en effet qu’une suggestion réussisse pleinement la première fois qu’on l’essaie sur le sujet. On suggère pendant son sommeil à M. H… qu’à son réveil, il verra un évêque dans l’angle de la pièce. À son réveil, comme il ne regardait pas dans le coin désigné, on lui dit : Regardez donc dans ce coin. Il dirige ses regards de ce côté et ses yeux prennent l’expression qu’on a, quand on voit quelque chose sans bien distinguer ce que c’est. — Que voyez-vous là ? — Je ne sais pas trop ; quelqu’un. — Qui ? — Je ne sais pas, et il continue à regarder d’un air un peu étonné. — Comment est-il habillé ? — Il a des habits en or. — Qui est-ce ? — Il a une mitre ; ah ! c’est un évêque. La vision était évidemment peu nette et ne s’est dégagée que peu à peu pour atteindre toute son intensité. C’était la première fois qu’une suggestion de la vue lui était faite.

La netteté paraît beaucoup plus grande pour les hallucinations de l’ouïe. Dans ces hallucinations qu’il est si facile de produire par l’hypnotisme, les sujets entendent distinctement les paroles et ces paroles ont un sens très précis. On sait combien ces hallucinations sont fréquentes chez les aliénés et avec quel irrésistible automatisme ils accomplissent les actes les plus criminels, quand les voix qu’ils entendent les leur commandent.

Les hallucinations peuvent porter aussi sur les sensations internes, la sensibilité musculaire, les besoins. Rien de plus facile que de suggérer à un sujet toutes sortes de sensations viscérales, de douleurs internes, de lui donner faim ou soif à volonté, de le faire brûler ou grelotter, etc. ; toutes ces expériences sont aujourd’hui bien connues et je ne m’y arrêterai pas. Mais il est une certaine catégorie de faits qui a été laissée de côté ; c’est ce que j’appellerai les hallucinations motrices. On peut suggérer à l’hypnotisé qu’il fait tel ou tel mouvement, tandis qu’il reste absolument immobile. J’ai suggéré à Mlle A… E… qu’elle valsait dans un bal et l’hallucination motrice était tellement forte que le sujet présentait tous les phénomènes que détermine habituellement la valse. La représentation de l’acte moteur dans le cerveau suffit pour faire croire au sujet que l’acte s’accomplit ; c’est donc une véritable hallucination. Un acte qui n’existe pas est considéré comme réel uniquement parce que la