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BEAUNIS. — l’expérimentation en psychologie

que tous les phénomènes d’hallucination, sans qu’il y ait de clôture des paupières et alors qu’est conservée exacte et complète la notion de la personnalité (p. 211).[1] »

De tous les auteurs qui ont entrevu ou indiqué cet état particulier, c’est M. Liégeois qui, à mon avis, l’a le mieux caractérisé au point de vue psychologique ; le tableau qu’il en donne est d’une exactitude frappante. Mais il manque un trait à ce tableau et c’est précisément ce trait qui constitue la caractéristique réelle de cet état spécial ; je veux parler de cette perte partielle de la mémoire que j’ai signalée déjà, perte qui ne porte que sur la suggestion qui vient d’être faite, tandis que le souvenir est conservé pour tout le reste. Il y a là une distinction capitale et qui n’a été faite par aucun des observateurs précités.

Il importe avant tout de différencier cet état spécial de certains états qui au premier abord pourraient être confondus avec lui.

On rencontre quelquefois chez certains sujets et j’ai observé le fait chez Mme V…, Mlle A… E… et plusieurs autres, une forme particulière de somnambulisme provoqué. Le sujet s’endort de la façon ordinaire, mais les yeux restent ouverts ; sauf cette particularité, ils présentent tous les caractères du sommeil hypnotique tels qu’ils ont été décrits plus haut, et si l’on n’était pas prévenu de la possibilité du fait, on pourrait croire que le sujet n’est pas endormi ; j’ai vu continuer ainsi les passes, les injonctions, la fixation du regard, longtemps après que le sujet était tombé dans le sommeil hypnotique et cela peut arriver facilement aux hypnotiseurs novices, mais quand on connaît ce phénomène, il est impossible de s’y tromper ; la fixité du regard, l’immobilité absolue, le calme impassible de la figure indiquent de suite que le sommeil est arrivé et il est facile

  1. Il m’est impossible, dans une étude de cette nature, de m’étendre autant que je le désirerais sur certaines questions. Il est cependant un point sur lequel je dois m’arrêter un instant. Ces suggestions à l’état de veille sont très vivement attaquées par M. Paul Janet dans ses articles sur les suggestions hypnotiques de la Revue politique et littéraire. « Les faits de ce genre, dit-il, en parlant des expériences de M. Liégeois (p. 202), dépassent de beaucoup tout ce qui est contenu ns les fait précédents. Nous ne voulons ni les affirmer, ni les nier, mais ce que l’on peut dire, c’est qu’ils sont présentés sans aucun égard aux exigences rigoureuses de la méthode scientifique et de l’observation médicale. » La phrase est un peu dure, mais ce qui est plus grave, c’est qu’elle n’est pas juste. Je n’ai pas à défendre M. Liégeois ; mais ce que je puis affirmer, pour l’avoir vu et pour l’avoir fait moi-même nombre de fois, c’est que ces suggestions à l’état de veille se réalisent avec la plus grande facilité et que les expériences mal faites et grossièrement conduites dont parle M. Paul Janet sont absolument vraies, non seulement en gros, mais dans tous leurs détails. Je suis convaincu que M. Paul Janet, s’il assistait à quelques-unes de ces expériences au lieu de les apprécier du fond de son cabinet de travail, bifferait spontanément le passage que j’ai reproduit plus haut.