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question d’efficacité, bien plutôt que de légitimité. Mais alors, quelle sera l’œuvre de la justice ? Elle sera, selon M. Lévy, répression pure et défense (ch.  V, §§ i et ii.) L’homme social est, comme tel, hors du domaine de la pure justice : est-ce une raison pour qu’il échappe à l’application des lois positives ? N’en est-ce pas une, au contraire, pour que, unité dynamique de ce déterminisme dont la règle est l’intérêt général, il soit tenu, par des moyens purement utilitaires, de respecter l’existence et l’intégrité d’une organisation sociale, imposée par la nécessité même ? Et ainsi, par cela même que la vie sociale de l’homme s’écoule dans le domaine inférieur de l’expérience, et qu’il ne peut s’y mêler aucun élément moral, l’action répressive du pouvoir civil, loin de s’en trouver gênée, s’impose au contraire comme une condition nécessaire d’existence et de sécurité pour les peuples. Le pouvoir qu’ils s’arrogent n’est pas un pouvoir moral, mais un pouvoir matériel de défense, et le droit de punir « n’a pas plus besoin d’être légitimé que le droit de vivre » (p. 63).

Dans cet état de choses, quelle est donc la condition de l’homme ? Il n’est plus, à vrai dire, aux yeux de la société dont il fait partie, une personne morale, mais, comme le dit expressément M. Lévy, une simple unité sociale tantôt ses actions concourent au maintien des liens sociaux et à la prospérité générale ; tantôt au contraire elles tendent, par le désordre et l’indiscipline des penchants égoïstes, à la dissolution de la société ; dans ce dernier cas, une lutte s’engage entre l’unité et le tout, dans laquelle on ne sait pas toujours qui l’emportera, mais dans laquelle aussi la société peut employer tous les moyens efficaces pour anéantir la cause même du danger qui la menace. Et qu’on ne parle pas ici de droit ou de justice : ce sont des forces engagées l’une contre l’autre ; et ce n’est pas une question de moralité qui se pose, ce ne peut être qu’une question de mécanique sociale, une sorte de problème d’équilibre dont le pouvoir civil doit chercher sans relâche la solution la plus exacte.

Or ici, comme partout, la solution dépend des éléments de la question proposée : les forces antagonistes présentent en effet des caractères dont il faut tenir compte, et le plus important de tous est la spontanéité, pour ne pas dire la liberté, des unités dynamiques engagées, à un tel point que l’équilibre cherché dépend de cette spontanéité même et doit en définitive en résulter. Voilà pourquoi la société s’adresse à l’initiative individuelle par la détermination préalable des conditions de la vie sociale et par la menace préventive ; c’est aussi pour cela que, après l’accomplissement des délits ou des crimes, elle est tenue, par son intérêt même, d’appliquer au coupable la peine déterminée d’avance, sans se laisser arrêter ni par la sympathie ni par la pitié ; enfin par là se trouve naturellement indiquée la limite de la peine, qui doit être suffisante, mais seulement suffisante pour réprimer le crime et en prévenir le retour.

Il est évident que, dans ces conditions, la question de la responsabi-