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du sujet et le modifier d’une façon persistante ; mais les faits que je viens de citer, et il en est d’autres encore, permettent de concevoir de légitimes espérances et peut-être y a-t-il dans l’hypnotisme les bases d’une thérapeutique morale. On sait à quelles déceptions a abouti le traitement moral de l’alcoolisme comme de toutes les autres passions humaines. Sera-t-on plus heureux avec l’hypnotisme ? S’il n’est pas certain qu’on réussisse on conviendra du moins, qu’en présence des faits précédents, il est rationnel d’essayer.

La suggestion peut-elle agir aussi sur les aptitudes intellectuelles ? Là les faits sont moins évidents et moins nombreux. Cependant le Dr Liébault a obtenu sur quelques enfants des résultats encourageants et je crois que des essais de ce genre devraient être tentés dans les établissements spéciaux dans lesquels sont recueillis les enfants dits arriérés. On pourrait aussi essayer dans les asiles d’aliénés sur quelques-uns des enfants faibles d’esprit ou imbéciles qui y sont confondus avec les idiots et qui paraîtraient susceptibles de recevoir une certaine instruction. Pour ma part je suis convaincu que l’hypnotisme deviendra un jour un puissant moyen de moralisation et d’éducation, mais pour cela il y a encore bien des résistances à vaincre et des préjugés à surmonter.

Il me reste un dernier point à traiter, avant de passer à l’étude des suggestions à l’état de veille, c’est celui de la coexistence des suggestions. Cette coexistence peut se faire de plusieurs façons dont les observations suivantes donnent des exemples. Victorine L… est à l’état de veille. M. L… place dans sa main un doigt de la main droite de Victorine L… en lui disant : Vous ne pouvez plus retirer votre doigt, il est collé à ma main ; elle essaye et fait des tentatives infructueuses pour détacher son doigt. Je fais alors la même chose avec un doigt de sa main gauche et avec le même résultat. Elle ne peut détacher ses doigts de nos mains et rien de plus curieux lorsque nous nous écartons tous deux lentement, de voir ses bras s’étendre comme si on l’écartelait et l’expression singulière de sa figure quand l’écartement est arrivé à son maximum.

On peut aussi donner en même temps une hallucination gaie tandis qu’un autre expérimentateur donne une hallucination triste, et le sujet passe par des alternatives d’émotion qui se reflètent sur sa figure, et quelquefois même la coexistence de deux émotions contraires donne à son visage une sorte d’expression mixte impossible à décrire. Seulement il ne faut pas qu’une des deux suggestions simultanées tende d’une façon formelle à détruire l’autre. Dans ce cas en effet une seule des deux réussit. Ainsi si je dis à un sujet : « Vous être rivé à votre chaise, il vous est impossible de vous lever », et