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ANALYSES.j. royce. The religious aspect of philosophy.

du mal ? Qu’y a-t-il de vrai dans cette distinction ? Cette vérité dépend-elle de certaines conditions, ou bien en est-elle indépendante ? Quel idéal de vie en résulte-t-il ? > Nous examinons les réponses que les différents systèmes donnent à ces questions, nous voyons les diverses théories aux prises sans que l’une d’elles parvienne à vaincre définitivement les autres. La lutte du réalisme et de l’idéalisme est très bien indiquée, bien qu’un peu longuement peut-être. La position des deux adversaires est montrée avec une grande netteté. « Il vous faut, disent les réalistes, aller à la réalité et considérer ce qu’elle est. C’est de là que vous tirerez votre notion du devoir. La moralité ne doit pas être bâtie en l’air, mais sur le solide fondement des faits naturels. Votre doctrine morale dépend de tout ce que vous pouvez découvrir dans l’univers. » — « La moralité, disent les idéalistes, est d’abord un idéal. La réalité nous donne les rapports que l’idée aura à juger, mais par aucun moyen nous ne trouverons en elle l’idéal lui-même. La réalité peut nous fournir des moyens ; la fin de l’action est un idéal indépendant de toute réalité, excepté du fait seul que nous choisissons cette fin. Comme Prométhée défiait Zeus, ainsi la conscience morale peut et doit défier les forces de la nature, si elles ne laissent jamais aucun espoir à l’idéal. Le bien peut être hors d’atteinte, il n’en est pas moins le bien. Si le monde réel était le plus mauvais qu’on puisse imaginer, il ne serait pas justifié, par le fait seul de sa réalité. L’idéal doit être réalisé autant que nous pouvons le réaliser, mais ce qui peut être réalisé ne devient pas pour cela un idéal. Le jugement ceci est et le jugement ceci est bon, sont une fois pour toutes différents et nous devons arriver à eux par des méthodes d’investigation complètement différentes. Mais les deux systèmes se heurtent à de graves difficultés, on demandera toujours comment le fait peut fonder le droit, comment de ce qu’une chose existe ou est désirée, on peut conclure qu’elle doit exister ou qu’elle doit être désirée, et comment on passera de la simple constatation des faits à un principe qui s’élève au-dessus des faits pour servir à les juger, et qui ne dépende pas d’eux. Au second on demandera comment, sans s’appuyer sur l’expérience, il peut donner autre chose qu’un système que l’on pourra attribuer simplement à son caprice et à sa fantaisie. L’idéaliste ne gagnerait rien à invoquer la nature de Dieu ou l’existence d’une Raison universelle, ou les commandements de la conscience. Si la conscience se corrompait, si Dieu variait, si la Raison universelle devenait folle, cela changerait-il l’idéal ? Si le jugement ceci doit être est indépendant du jugement ceci est, on ne peut plus s’appuyer sur les faits comme le pouvoir de Dieu, ou sa bonté, ou l’universalité de la conscience, ou sa force comme sentiment. »

Mais nous ne pouvons suivre l’auteur dans son exposition de la lutte des différentes formes de l’idéal moral et dans les détails de sa critique des systèmes. Nous aurons occasion de revenir tout à l’heure sur quelques points particuliers. Contentons-nous pour le moment de voir les idées générales de M. Royce, et rendons-nous bien compte de