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absolument libre à l’activité du groupe cérébral localisé sur lequel on a concentré toute la puissance nerveuse du sujet. Cette activité nerveuse est enfermée dans un cercle limité par la volonté de l’hypnotiseur, mais dans ce cercle limité, elle évolue avec une facilité et avec une rapidité plus grandes qu’à l’état ordinaire ; rien d’étonnant alors que l’action réciproque des centres moteurs et des centres émotifs s’exerce dans toute sa plénitude, soit dans un sens, soit dans l’autre.

Les rêves peuvent être suggérés avec la plus grande facilité pendant le sommeil hypnotique et ces rêves qui se réalisent pendant le sommeil naturel ont la vivacité et la netteté des objets réels. Il m’a semblé, d’après ce que racontent les sujets, que ces rêves suggérés étaient plus nets, plus réels que les rêves ordinaires ; ils sont aussi plus réguliers, moins incohérents ; leurs péripéties s’enchaînent mieux, et cela se conçoit puisqu’en les suggérant on leur assigne en général une certaine logique ; mais il serait aisé, si l’on en avait la fantaisie, de suggérer aux sujets hypnotisables les rêves les plus bizarres et les plus fantastiques. Plusieurs fois déjà des sujets m’ont demandé de leur donner tel ou tel rêve pendant leur sommeil naturel et toujours le rêve s’est réalisé ponctuellement. Un fait plus important et dont l’utilité est plus directe, c’est qu’on peut suggérer au sujet l’absence de rêves et procurer ainsi à une personne tourmentée par des rêves fatigants ou par des cauchemars le sommeil le plus tranquille et le repos le plus absolu de la pensée.

La suggestion hypnotique peut porter non seulement sur des sensations et sur des actes, elle a une influence plus haute ; elle peut agir sur les passions, les sentiments, le caractère. On peut rendre à volonté un sujet triste, gai, colère, etc. ; on peut modifier à son gré et instantanément son caractère moral. J’ai assisté chez mon collègue le Dr Bernheim à une expérience des plus intéressantes à ce point de vue sur une jeune somnambule de son service d’hôpital. En une heure, nous la fîmes passer par toutes les variétés possibles de passions et d’aptitudes intellectuelles, orgueil, colère, affection, douceur, esprit, amour, jalousie, etc., nous lui fîmes parcourir toute la gamme des sentiments et de l’intelligence ; nous la rendîmes tour à tour gaie, sérieuse, légère, travailleuse, bavarde, spirituelle, dévote, etc., et à chaque suggestion nouvelle, c’était une nouvelle scène du plus grand intérêt psychologique. En un mot, on peut jouer de l’âme humaine comme on joue d’un instrument et quelque étrange que puisse paraître la comparaison, tous ceux qui assisteront à un spectacle semblable en reconnaîtront la justesse.

Un fait moins connu et plus important, c’est qu’on peut obtenir