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LAFARGUE. — origine de l’idée du bien et du juste

les partages de terres, sans doute, au début, ils constituaient la partie importante de ses mystères. Cérès législatrice ne porte plus dans ses cheveux et ses mains ni épis, ni pavots, ni instruments aratoires[1]. Déméter, qui, en Arcadie, portait le surnom d’Erinnys, a dû être créée alors que les peuplades de la Grèce n’étaient pas encore parvenues à la propriété collective ; ce n’est que plus tard, lorsque le partage des terres commença à se pratiquer, qu’elle devint Thesmophore, la déesse qui donne des usages et des coutumes ; cette nouvelle fonction était si importante que Déméter se transfigura : elle délaissa ses anciens attributs (les épis et les instruments aratoires) pour prendre le stylet, le rouleau et la corne d’abondance, qui indiquent aux hommes que le bien-être dont ils jouissent est le fruit des coutumes agraires qu’elle était censée avoir introduites.

L’histoire des Heures, qui ne désignaient pas les douze parties du jour, mais les divisions de l’année, est semblable à celle de Déméter. Les Heures n’étaient primitivement qu’au nombre de deux, Thallo, l’Heure du printemps (θάλλω, fleurir, verdoyer), et Carpo, l’Heure de l’automne (καρπός, fruit). Le printemps et l’automne devaient être les saisons importantes pour des hommes qui ne cultivaient pas la terre et qui vivaient des fruits qu’elle porte spontanément. Plus tard, les Heures sont au nombre de trois : Eunome (εὐνόμια, bon pâturage, observation des coutumes, équité) ; Iréné (εἰρήνη, paix) ; et Dicé (Δίκη, lot, sort, usage, droit, équité, justice). Celle-ci est armée d’une épée avec laquelle elle perce le cœur de ceux qui violent les coutumes, les lois. Hésiode, dans sa Théogonie, les décrit donnant aux hommes des coutumes, et établissant parmi eux, ainsi que Cérès Thesmophore la paix et la justice. Entre les Heures primitives, Thallo et Carpo, et ces trois dernières, il s’était produit une révolution dans les conditions d’existence des hommes primitifs.

Tant qu’ils ne vivaient que des produits de la pêche, de la chasse, de la cueillette et des troupeaux, il était indifférent aux hommes d’être en guerre pendant une saison plutôt que pendant une autre : mais dès qu’ils eurent des champs à préparer, à ensemencer et à moissonner, ils durent suspendre à de certaines périodes de l’année « cette guerre de tous contre tous », et établir entre eux des trêves pour les semailles, les récoltes et les autres travaux agricoles. Ils écrièrent alors l’Heure de la paix, Iréné, et ils mirent sous sa protection ces périodes de paix. — Εἰρήνη dérive de εἴρω, parler ; à Lacédémone, on nommait εἰρην le jeune homme âgé de plus de vingt

  1. Dans sa Galerie mythologique (Paris, 1811), Millin reproduit treize médaillons camées, vases, bas-reliefs, etc., où sont figurés Cérès et ses différents attributs.