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signer le paysan (Goodman-Hodge correspond à notre Jacques-Bonhomme).

Gudeman, Guidman (écossais), passa par la même série évolutive ; usité d’abord pour seigneur (laird), pour le Diable quand on voulait le flatter, il fut employé pour petit propriétaire, cultivateur, paysan-propriétaire, pour fermier non propriétaire.

C’est sans doute lorsque Bonhomme arriva à être appliqué généralement aux paysans que pressuraient sans pitié les nobles et les gens d’armes (« vivre sur le bonhomme » était une expression courante), que le mot prit le sens ridicule qu’il a conservé ; un instant, au xive siècle, il était synonyme de Coqu. Par l’addition d’une désinence, bon et good deviennent bonasse et goody. Dans l’antiquité, Ἀγαθός et Bonus ne pouvaient devenir grotesques ; bonasse était εὐήθης, insultus, ineptus, etc. Les écrivains de la période byzantine emploient ἀγαθὸς, surtout dans le sens de bon, qu’il n’a dû acquérir que tardivement[1] ; et ce n’est que dans le latin du moyen âge que l’on rencontre Bonatus, bonasse.

L’homme qui était ἀγαθὸς et bonus, était non seulement honnête, vertueux, mais encore et surtout brave, généreux, de famille noble et propriétaire plus ou moins riche. Dans les temps héroïques de la Grèce et de Rome, la bravoure et la générosité étaient aussi indispensables aux propriétaires que l’orthographe aux académiciens. — Indra, le dieu védique, personnifie les héros primitifs de toutes les nations ; il est le Dieu guerrier par excellence, toujours en lutte pour conquérir des présents qu’il prodigue à ses fidèles, qui ne s’attachent à lui que parce qu’il est fort, courageux, généreux. Les héros antiques ne pouvaient s’entourer de compagnons d’armes, et dans la suite, de clients ; ils ne pouvaient acquérir des richesses, des troupeaux, des femmes, des terres, pour eux et leurs fidèles, qu’en se battant, et ils ne les conservaient qu’en se battant continuellement. Le qui terre a, guerre a, du moyen âge, était vrai surtout alors. La vie des héros était un long combat : ils mouraient jeunes, comme Hector, comme Achille. Le propriétaire de troupeaux et de récoltes ne confiait pas leur défense à des troupes mercenaires, il les protégeait de son corps. Dans ces temps guerriers, il était aussi impossible de concevoir un propriétaire de biens sans bravoure et générosité, qu’aujourd’hui des directeurs de mines, d’usines de produits chimiques ou d’autres grandes exploitations industrielles et agricoles, sans capacités administratives et connaissances scientifiques variées.

  1. Sophocle, Greeck lexicon of the Roman and byzantine periods, 1870.