Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 20.djvu/26

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
22
revue philosophique

découvert par Braid et qui depuis a été reproduit nombre de fois, car c’est un de ceux qui impressionnent le plus vivement quand on le voit pour la première fois. Si l’on donne par exemple au sujet hypnotisé l’attitude de la prière, on lui suggère, sans qu’une parole soit prononcée, l’idée de prière, et on provoque des hallucinations ou des actes en rapport avec cette idée. Il y a donc une liaison intime entre un mouvement, même communiqué, et les pensées et les sentiments dont ce mouvement est l’expression. J’ai pu constater un fait d’un autre genre, mais dans le même ordre d’idées ; un résultat analogue peut être obtenu par la simple articulation des mots.

Mlle A… E… étant endormie, je lui dis : À votre réveil, vous direz à votre amie Mme H… A… : — Je voudrais bien manger des cerises. — Je la réveille au bout d’un certain temps et peu après je la vois s’approcher de son amie et lui parler bas à l’oreille. Alors m’adressant à elle. — Vous venez de dire à Mme H… A… que vous voudriez bien manger des cerises. — Comment le savez-vous ? dit-elle toute étonnée. — Je le sais. Le lendemain, Mme H… A… me dit qu’avant de rentrer chez elle, Mlle A… E… avait acheté des cerises, car, disait-elle, elle avait une envie folle d’en manger. Je ne lui avais suggéré que l’articulation de la phrase ; le désir était venu à la suite, preuve de plus de la liaison étroite qui existe dans le cerveau entre l’idée ou plutôt un sentiment, le désir, et les mots qui servent à l’exprimer. Tout se tient : le mot, l’idée, le sentiment ; la cohérence est intime entre ces trois choses, comme si toutes les trois avaient leur substratum dans le même centre nerveux. L’expression du désir se confond avec le désir lui-même.

Mais pourquoi cette confusion se fait-elle chez l’hypnotisé ? À l’état ordinaire, je pourrai répéter vingt fois cette phrase : « Je voudrais bien manger des cerises » sans que le désir m’en vienne réellement ; je puis prendre une plume à la main sans avoir le désir d’écrire. La liaison entre le désir et l’expression motrice qui la réalise d’habitude n’est donc pas aussi intime que dans l’état somnambulique. Il semble que quelque chose vienne enrayer l’association ou la transmission nerveuse qui rattache l’expression du désir au désir lui-même, autrement dit le centre moteur au centre sensoriel ; il y a là comme une influence d’arrêt qui s’exerce à l’état normal et qui ne s’exerce plus à l’état somnambulique.

Il faut cependant faire quelques remarques sur ce sujet. D’abord dans le cas que je suppose, en prononçant certains mots ou en me plaçant dans une attitude déterminée, j’ai le sentiment que je fais une expérience et que ces paroles, cette attitude ne correspondent