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nées du sens commun, comme des qualités inhérentes à la table. Pour la résistance, il n’en est pas de même. Je ne puis me la représenter qu’à la condition d’imaginer que je pose la main sur l’une de ses faces ; de sorte que la résistance m’apparaît comme une qualité de la table essentiellement liée à ma sensation présente, et accidentelle par conséquent comme cette sensation. Si donc il est une qualité sensible qui m’apparaisse comme une pure et simple possibilité de sensations, pour me servir ici de la très juste expression de Stuart Mill, c’est assurément la résistance, plus que toutes les autres. On voit par là que, si le sens commun paraît autoriser l’opinion d’après laquelle la résistance serait la propriété essentielle et fondamentale des corps, il la condamne en même temps, puisqu’il n’est aucune qualité sensible qui lui paraisse plus complètement subjective et relative à notre sensibilité que celle-là.

Il y a là deux modes simples de la conscience, dirons-nous à M. Spencer ; pourquoi excluez-vous totalement l’un au profit de l’autre ?

II

Pour discuter l’argument réaliste tiré de la résistance, il est tout d’abord indispensable que nous nous fassions de la résistance une idée exacte. Qu’est-ce donc que la résistance ? Nous disons : c’est une sensation. Peut-être cependant voudra-t-on soutenir que c’est une action mécanique. Parler ainsi, ce serait oublier que nous ne pouvons nullement avoir conscience d’une action mécanique, mais seulement d’une sensation. Sans doute il peut sembler, et c’est en particulier l’opinion de Maine de Biran, que la sensation n’est pas un phénomène purement spirituel, ni même peut-être purement psychologique ; qu’une certaine intuition, ou plutôt une certaine conscience du corps y est toujours incluse ; et que ce que nous appelons la résistance, c’est la sensation par laquelle nous prenons conscience de notre corps, en tant qu’il exerce une action mécanique. — Accordons tout cela : il n’en restera pas moins vrai que l’action mécanique, si action mécanique il y a, absolument parlant, ne m’est connue que par l’intermédiaire, et en quelque sorte au travers d’une sensation. Ce dont j’ai l’idée, c’est donc l’action mécanique en tant qu’elle est sentie ; ce que je puis objectiver et attribuer aux choses extérieures, c’est donc seulement cette même action mécanique en tant qu’elle est sentie, c’est-à-dire la sensation que j’en ai. Ainsi, ce que je considère comme une qualité essentielle aux corps extérieurs, c’est toujours une sensation, Voilà, ce que l’on est