Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 20.djvu/22

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
18
revue philosophique

veuses et dans des groupes de cellules, et il est difficile de ne pas en venir là, on pourrait dire qu’on paralyse par suggestion telle ou telle cellule ou tel ou tel groupe cellulaire comme on paralyse un muscle ou un membre.

Pour terminer ce qui concerne la mémoire, il me reste à parler de cette mémoire inconsciente, comme l’appelle Ch. Richet, grâce à laquelle un acte suggéré pendant le sommeil s’accomplit au moment fixé par l’hypnotiseur, alors qu’à son réveil le sujet ne se souvient de rien. On trouvera des exemples de ces suggestions à longue échéance dans les mémoires de Ch. Richet, Bernheim, Liégeois, etc., et je pourrais y ajouter mes observations personnelles. M. Liégeois a fait une suggestion à cent jours de distance, et elle se réalisa avec une précision mathématique[1]. « Ce qu’il y a de remarquable, dit Ch. Richet, c’est cette conscience absolue qui fait que, même à une très longue distance de temps, un souvenir persiste, quoique la personne qui se souvient ne sache pas qu’elle se souvienne ; … c’est un souvenir ignoré. »

Il en est bien de même, à un certain point de vue, dans l’état ordinaire. Les connaissances acquises, les faits, les images, les idées existent dans notre cerveau, et nous n’en avons nulle conscience pendant des mois, des années, parfois même des périodes entières de notre existence. On prononcera devant nous le nom d’une personne que nous aurons connue étant enfant, d’un camarade de collège par exemple, et après quarante ans, ce nom qui nous revient à l’esprit réveille en nous toute une série de faits, d’images, d’idées qui dormaient dans notre souvenir, qui n’y avaient jamais reparu depuis et ne s’y seraient peut-être jamais développées, si ce nom n’avait frappé notre oreille.

Mais il y a entre cette mémoire inconsciente ordinaire et la mémoire inconsciente de l’hypnotisé, une différence capitale. Toutes nos connaissances, toutes nos acquisitions qui dorment ainsi dans notre cerveau peuvent, à un moment donné, être retrouvées et reparaître. Nous avons oublié un nom ; nous le cherchons en vain quoique nous l’ayons sur les lèvres, il nous échappe obstinément ; puis à un moment donné, il nous revient, il nous saute à l’esprit, ramené par une consonnance, une association d’idées ou par toute autre cause dont nous n’avons parfois pas même conscience. Chez l’hypnotisé, il n’en est pas de même. Je lui suggère pendant son sommeil que dans dix jours, à cinq heures par exemple, il ouvrira

  1. Depuis que cet article est écrit j’ai vu se réaliser à jour fixe une suggestion que j’avais faite cent soixante-douze jours auparavant.