Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 20.djvu/21

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
17
BEAUNIS. — l’expérimentation en psychologie

être différente de ce qu’elle était à l’état de veille. Peut-être en multipliant les exercices, en agissant par des suggestions énergiques et répétées, arriverait-on à un résultat favorable, et je me propose, si j’en rencontre l’occasion, de reprendre ces expériences ; mais elles demandent beaucoup de temps et de patience de la part des deux personnes en jeu, et bien des obstacles s’opposent à ce qu’elles soient continuées avec la suite et la précision nécessaires dans une matière aussi délicate.

Mais s’il est difficile d’accroître la mémoire d’une façon générale, c’est-à-dire de faire qu’un sujet dont la mémoire est habituellement lente et paresseuse retienne facilement une série de chiffres, une page de prose, une tirade poétique, on peut, avec la plus grande facilité, la surexciter localement, si je puis m’exprimer ainsi, c’est-à-dire en portant, par suggestion, l’attention du sujet sur un point déterminé ; on pourra, par exemple, donner à un sujet une idée fixe, celle d’une lettre, d’un mot, d’un air de musique, de façon qu’il ne puisse parler, écrire, chanter que d’après l’idée fixe qui lui aura été suggérée. Il y a là, dans l’ordre intellectuel, quelque chose de comparable à la contracture qu’on peut déterminer dans un muscle par suggestion ou mieux encore à ces mouvements automatiques que le sujet ne peut arrêter dès qu’on les lui a suggérée.

On sait, depuis les recherches de Braid et Durand, de Gros (Dr Philips) et on en trouve des exemples nombreux dans les mémoires de Ch. Richet, Bernheim, Liégeois, etc., avec quelle facilité on peut déterminer par suggestion des pertes partielles ou totales de la mémoire. L’amnésie provoquée est un des chapitres les plus curieux et les mieux étudiés de l’hypnotisme. Aussi ne m’y arrêterai-je pas. Ces faits sont bien connus aujourd’hui. C’est ainsi qu’on peut faire oublier à un sujet les voyelles, les consonnes, telle voyelle ou telle consonne déterminée, les nombres, l’empêcher de compter jusqu’à un chiffre donné, lui enlever la notion des substantifs, des noms, de son propre nom, lui faire oublier des périodes entières de son existence, abolir en lui la notion de la personnalité, provoquer même, comme l’a fait M. Liégeois, la perte totale de la mémoire. Les amnésies partielles peuvent porter sur les plus petits détails, sur les faits les plus insignifiants, comme sur les notions les plus complexes et les plus abstraites. L’hypnotisme permet de reproduire à volonté et instantanément toutes les formes des troubles de la parole qui ont été si bien étudiées dans ces derniers temps, et on peut les reproduire avec une variété que la clinique ne connaît pas et qui n’a d’autre limite que la volonté de l’hypnotiseur. Si l’on admet que tous nos souvenirs ont leurs conditions d’existence dans des cellules ner-