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ANALYSES ET COMPTES RENDUS


L. Lévy-Bruhl. — L’idée de responsabilité. In-8o, Paris, Hachette, 1884.

En choisissant la notion de responsabilité pour la soumettre à une critique fondamentale, M. Lévy a eu la main heureuse, en un moment surtout où les moralistes sont visiblement préoccupés de remettre en question les principes de la conduite humaine. Les attaques de M. Fouillée contre la morale de Kant et de ceux qui se réclament de son nom n’ont pas été sans émouvoir ces derniers, et il ne s’est guère trouvé pour défendre l’impératif catégorique que ceux qui en cherchent la justification dans le souverain bien, ou ceux qui confèrent un caractère de désintéressement tel qu’il reste suspendu au-dessus de la pratique gans exercer sur nos actes aucune influence d’aucune sorte. Entre les attaques de M. Fouillée, la métaphysique défensive de M. Beaussire et les finesses compromettantes de M. Guyau, l’esprit reste embarrassé de prendre parti ; et peut-être attendrait-il volontiers des défenseurs ordinaires de la pensée de Kant un dénouement de la crise, une solution qui malheureusement ne vient pas. Avec la notion de responsabilité, inséparable de celle de la loi impérative, M. Lévy entre en lice, et il apporte une solution radicale au redoutable problème. Une analyse de sa brillante thèse ne saurait donner une idée du remarquable talent de l’écrivain ni de la rigueur logique avec laquelle il expose et développe les éléments d’une question si complexe ; alors même qu’on ne peut se laisser convaincre, on subit le charme d’une pensée toujours claire et nettement exprimée ; et on risquerait de s’abandonner même aux rêves métaphysiques du philosophe, si, en dépit des séductions de son style et de sa dialectique, on n’en pressentait parfois les décevantes illusions, C’est que, loin de nier les difficultés inhérentes à la conception d’une loi rigoureusement formelle, il les affirme au contraire et prétend en faire les éléments indispensables du problème, au point qu’on serait, en fin de compte, presque obligé de reconnaître que la conclusion hardie de son ouvrage est ou le dernier mot du système, ou la trahison de son irrémédiable faiblesse. Nous allons mettre le lecteur à même d’en juger.

En principe, la responsabilité est une condition essentielle de la moralité : l’être moral, en effet, se distingue des autres êtres en ce que, au lieu d’accomplir inconsciemment et brutalement sa destinée, sans,