Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 20.djvu/176

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
172
revue philosophique

bonté. Cependant, comme la bonté dans le sens moral de ce mot est de sa nature une notion relative, comme on en trouve le type dans la conscience, on devient aisément sensible aux dissonnances qui portent sur cette catégorie. Il n’en va pas de même des autres éléments de la théologie populaire. On commence par placer en Dieu toute la réalité possible, puis, lorsqu’il s’agit de se former une opinion sur l’origine des choses finies, on assure que Dieu les produit et les façonne comme un ouvrier. Et pourtant l’on n’admet plus la vieille doctrine païenne d’une matière existant hors de Dieu de toute éternité ; on dit que Dieu crée toutes choses de rien, tout en continuant à se représenter la création comme une confection : c’est dire que la substance des choses n’est rien, et que Dieu travaille le néant… On ne veut pas admettre qu’il tire le monde de sa propre substance : penser que la substance du monde est divine, ce serait, dit-on, diviniser le monde. Mais, nous ne saurions par un acte d’autorité nous soustraire aux conséquences de nos prémisses. Si le monde résulte entièrement d’un acte de la volonté divine et si toutefois le monde est quelque chose, s’il possède une substance ce qu’on affirme, il reste que cette substance ne soit rien ou qu’elle soit la volonté même par laquelle le monde existe. Distinguer la création de la confection, nier l’existence d’une matière coéternelle à Dieu, dire que le monde n’existe absolument, forme et matière, que par la volonté de Dieu, c’est faire de la volonté de Dieu la substance du monde, puisque la substance d’une chose est ce que lui donne sa réalité. Dans ces conditions, il est très difficile à l’esprit de séparer l’être du monde de l’être de Dieu ; et cette difficulté devient une impossibilité absolue par adoption du déterminisme, de quelque façon qu’il soit formulé. Nous n’avons pas lieu d’être surpris en voyant le déterminisme, qui, saisi par un esprit conséquent, se confond avec le panthéisme, abonder et surabonder dans la théologie. Le panthéisme est impliqué dans les définitions des perfections métaphysiques du créateur, mais le déterminisme et le panthéisme qu’il entraîne sont également compris dans l’idée populaire de la création pour autant qu’il est possible de la préciser. Je veux dire que cette conception se concilie mal avec celle d’une activité libre de la créature et par conséquent d’une activité qui appartienne réellement à la créature, car si cette activité est déterminée par la causalité divine, elle ne se distingue pas réellement de l’activité divine elle-même.

Je dois insister sur ce point, qui tient de la façon la plus étroite à mon sujet ou plutôt qui est tout mon sujet. On pense que Dieu a créé les êtres tels qu’ils sont, chacun dans son rang et dans son