Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 20.djvu/16

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
12
revue philosophique

Certains observateurs ont cependant constaté un souvenir vague et confus, et Heidenhain en cite un exemple ; mais, comme le fait remarquer Ladame, il est probable qu’il y a des variétés individuelles suivant les sujets ; cependant, pour ma part, toutes les fois que le sommeil était assez profond, et on pouvait toujours l’obtenir chez mes sujets, j’ai toujours constaté que le souvenir au réveil était tout à fait aboli.

Si l’on peut, par suggestion, provoquer le souvenir, on peut aussi, par le même procédé, abolir le souvenir de tout ce qui s’est passé pendant le sommeil hypnotique et l’abolir de telle façon que le sujet n’en puisse avoir connaissance s’il est endormi de nouveau. Inutile d’insister sur ce fait, dont la réalité est hors de doute et dont on entrevoit facilement les conséquences.

En résumé, les lois suivantes régissent la mémoire hypnotique :

1o Le souvenir des états de conscience (sensations, actes, pensées, etc.) du sommeil provoqué est aboli au réveil, mais ce souvenir peut être ravivé par suggestion, soit temporairement, soit d’une façon persistante ;

2o Le souvenir des états de conscience du sommeil provoqué reparaît dans le sommeil hypnotique ; mais ce souvenir peut être aboli par suggestion, soit temporairement, soit d’une façon persistante ;

3o Le souvenir des états de conscience de la veille et du sommeil naturels persiste pendant le sommeil hypnotique ; mais ce souvenir peut être aboli par suggestion, soit temporairement, soit d’une façon persistante.

Un mot à propos de ce dernier cas. J’ai dit plus haut que ce souvenir était plus précis et plus exact que le souvenir ordinaire. Il me suffira d’en donner un exemple. Mlle A… E… avait, au début du traitement par l’hypnotisation, une répugnance invincible pour certains aliments, en particulier pour la viande et le vin. Il m’est arrivé plusieurs fois, pour m’assurer si elle suivait régulièrement les prescriptions alimentaires qui lui étaient faites, de lui demander ce qu’elle avait mangé la veille ou l’avant-veille. La plupart du temps, elle ne se le rappelait plus ou ne se le rappelait que très incomplètement. Je n’avais alors qu’à l’endormir pour qu’elle me dît exactement tout ce qu’elle avait mangé, sans oublier le plus petit aliment, avec une foule de détails auxquels, d’habitude, on ne fait guère attention dans un repas. Une fois réveillée, je lui énumérais tout son dîner par le menu depuis a jusqu’à z, et elle était toute étonnée de me voir si bien renseigné.

Les faits que je viens de mentionner sont bien connus et, comme