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BEAUNIS. — l’expérimentation en psychologie

très léger et quelquefois presque nul chez les aliénés. S’il était possible de profiter des instants de sommeil d’un aliéné pour l’hypnotiser, on pourrait sans doute améliorer son état et aider ainsi à sa guérison. Ne pourrait-on pas aussi (je laisse de côté la question de droit) essayer sur certains criminels l’hypnotisme pendant leur sommeil naturel pour en obtenir des aveux ?

Enfin dernière question. Peut-on être endormi malgré soi, abstraction faite du cas précédent, dans lequel la chose est incontestable ? D’après Braid « l’état hypnotique ne peut être déterminé, à aucune de ses périodes, sans le consentement de la personne opérée » (Neurhypnologie, p. 18), et plus loin, il répète la même assertion en d’autres termes : « Personne ne peut y être soumis, à aucune période, à moins de consentement libre. » Le Dr Bernheim semble se rattacher à la même opinion : « Le sommeil provoqué ne dépend pas de l’hypnotiseur, mais du sujet ; c’est sa propre foi qui l’endort ; nul ne peut être hypnotisé contre son gré, s’il résiste à l’injonction. » (Revue médicale de l’Est, 1884, p. 556).

Malgré ces autorités, il m’est impossible d’être aussi affirmatif, et j’ai observé des faits qui me prouvent qu’une personne peut parfaitement être hypnotisée malgré elle ; seulement, c’est à une condition, c’est que cette personne ait déjà été hypnotisée. Quand on essaie pour la première fois, je crois que le sujet peut toujours résister en ne se prêtant pas au procédé qu’on veut employer. Ainsi, le rire est un excellent moyen d’éviter le sommeil provoqué ; dès que la personne que vous voulez endormir se met à rire et tourne la chose en plaisanterie, vous pouvez cesser votre tentative, elle ne réussirait pas. Donc, l’affirmation de Braid et du Dr Bernheim est vraie, mais seulement pour ceux qui n’ont jamais été hypnotisés. Mais pour ceux qui l’ont déjà été, il n’en est plus de même. Il en est toujours un certain nombre (non pas tous évidemment, car il est des degrés dans la facilité à entrer en hypnotisme) qu’on peut endormir malgré eux. Ceux-là sont absolument sous la puissance de celui qui les endort habituellement ; toute résistance de leur part est impossible ; ils peuvent éviter le regard de l’hypnotiseur, celui-ci trouvera toujours un autre procédé pour les endormir. « Nul ne peut être hypnotisé contre son gré, s’il résiste à l’injonction. » Mais c’est précisément cette résistance à l’injonction dont ils sont incapables. On verra plus loin que cet asservissement du sujet s’étend non seulement au sommeil hypnotique, mais a lieu aussi pendant l’état de veille, qu’il existe non seulement pour les suggestions les plus simples, mais pour toute espèce d’actes, même les plus compliqués et les plus criminels, et que les conséquences les plus sérieuses peuvent résulter de cet