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ANALYSES.Ueber den Utilitarianismus.

Mill. En outre Bergmann est à vrai dire un critique bienveillant, mais il ne connaît pas toujours très bien les doctrines qu’il attaque. L’utilitaire, dit-il, se présente comme l’interprète et non comme le critique de la conscience. En réalité, l’utilitarisme se propose de diriger la conscience en déterminant ce qui est le plus utile à l’humanité,

Bergmann a raison de trouver Stuart Mill inconséquent quand il veut tenir compte de la qualité du plaisir indépendamment de sa quantité.

C’est ce que Sidgwick a montré avant lui (Methods of Ethics) ; mais il a tort de croire que, en se plaçant au point de vue de Bentham, on ne puisse trouver le bonheur des saints plus fécond que celui de ceux qui ne cherchent que les plaisirs des sens, L’utilitarisme place dans le bonheur du plus grand nombre le critérium le plus élevé de toute valeur morale, C’est ainsi qu’on peut justifier le blâme ou l’éloge, la vertu ou le vice. La valeur en effet est un concept tout relatif comme le concept du bien. Bergmann parle bien de « valeur en soi », mais il n’explique pas ce qu’il veut dire par ces mois.

Mill a déterminé ce qu’il entend par le bonheur : c’est ce qui constitue pour l’homme le plus haut idéal moral, artistique et scientifique, Il est difficile de reprocher aux utilitaires qu’ils s’arrêtent à considérer la vertu d’un point de vue intéressé. Platon, dont la morale semble aussi parfaite que possible aux adversaires de l’utilitarisme, ne trouve-t-il pas que la vraie valeur de la justice consiste dans le bonheur immédiat qu’elle procure ?

L’altruisme, comme l’a montré Spencer, se détruit lui-même. Mais l’utilitarisme n’est pas, ainsi que le dit Bergmann, un intermédiaire entre l’altruisme et l’égoïsme ; il se dirige d’après un principe qui lui appartient en propre et d’après la nature. D’ailleurs Bergmann n’aurait pas fait cette objection s’il avait lu Stuart Mill avec plus d’attention : il aurait vu qu’il distingue soigneusement (p. 26) le motif et la moralité de l’action. L’utilitaire ne s’occupe pas d’actions commandées par l’amour-propre ou par la bienveillance, ils occupe uniquement d’actions droites.

Bergmann objecte que l’utilitarisme conduit à l’égoïsme. Il a raison si l’on considère la forme que Stuart Mill a donnée à la doctrine ; il a tort de répéter le vieil argument que les stoïciens employaient contre les épicuriens ; car le plaisir n’est pas un ἐπιγέννημα, c’est l’essence même de l’amour.

Stuart Mill a commis une confusion dans laquelle Bergmann paraît tomber lui-même : il ne distingue pas le côté subjectif (le Wie), du côté objectif (le Was) de la volonté ; il ne distingue pas le sentiment et la connaissance.

La doctrine utilitaire, dit Bergmann, n’explique pas le caractère obligatoire de la loi morale, elle laisse sans réponse la question de la sanction. Il faudrait bien enfin abandonner ces arguments qui pourraient tout aussi bien se tourner contre les doctrines morales qui s’opposent à l’utilitarisme. Aucune théorie morale ne peut empêcher l’homme de