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cette faculté de s’endormir spontanément se montrait dans certaines conditions particulières, ainsi quand elle voulait résister à une suggestion qui lui était désagréable. Je reviendrai ailleurs sur ce fait.

Enfin deux sujets hypnotisables peuvent s’endormir réciproquement, phénomène déjà constaté par Ladame (La névrose hypnotique), et que j’ai eu occasion d’observer plusieurs fois, en particulier sur Mlle A… E… et Victorine L… Il leur suffisait de se regarder fixement toutes les deux.

Peut-on endormir quelqu’un sans qu’il soit prévenu qu’on veut l’endormir ? J’ai essayé plusieurs fois d’endormir les sujets en faisant des passes par derrière à leur insu et j’ai réussi plusieurs fois, surtout chez Mlle A… E…, à provoquer le sommeil. Mais dans ces cas, il est bien difficile d’éviter des mouvements, et ceux-ci peuvent révéler votre présence à la personne qu’on veut endormir et la prévenir de votre intention. J’ai bien, il est vrai, demandé dans ces cas à Mlle A… E…, une fois endormie : Saviez-vous que je faisais des passes derrière vous ? Mais la réponse négative qu’elle me faisait ne peut évidemment être acceptée comme absolument probante, et il faudrait des expériences plus rigoureuses que je n’ai eu ni le temps, ni l’occasion de faire. Je mentionnerai cependant plus loin une expérience très complexe et intéressante à ce point de vue.

À cette question s’en rattache une autre très importante au point de vue pratique. Chez les somnambules naturels, le passage au sommeil hypnotique est facile à produire ; il est aisé par exemple, en causant avec un individu qui parle haut pendant son sommeil, de le faire arriver peu à peu au sommeil hypnotique et j’ai pu le faire moi-même dans une circonstance particulière sur laquelle j’aurai lieu de revenir. Mais le sommeil somnambulique n’est pas le sommeil naturel normal. Peut-on faire passer une personne endormie, sans la réveiller, du sommeil naturel au sommeil hypnotique ? La chose est possible, au moins pour certains sujets ; le professeur Geischdlen a fait sur ce point un certain nombre d’expériences qui mettent le fait hors de doute, et le professeur Bernheim cite un cas analogue dans sa lettre à M. Paul Janet (Revue médicale de l’Est, 1884, No 18). La chose a son importance. On sait que le sommeil hypnotique ne s’obtient pas ou ne s’obtient qu’avec la plus grande difficulté chez les aliénés, phénomène qui trouve son explication dans ce fait bien connu des médecins, que le sommeil normal est

    réveil, il lui restait le souvenir d’avoir passé des instants aussi délicieux que si son bonheur eût été partagé. (Liébault, Du sommeil et des états analogues, p. 282.) On observe assez souvent des hallucinations du même genre dans l’aliénation mentale.