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BROCHARD. — PYRRHON ET LE SCEPTICISME PRIMITIF

Après la mort d’Alexandre, Pyrrhon revint dans sa patrie il y mena une vie simple et régulière, entouré de l’estime et de la considération de ses concitoyens, qui le nommèrent grand prêtre, et après sa mort lui élevèrent une statue qu’on voyait encore au temps de Pausanias[1]. Il mourut vers 275.

Sauf la pièce de vers dédiée à Alexandre, Pyrrhon n’a rien écrit. Sa doctrine n’a été connue des anciens que par les témoignages de ses disciples, et principalement de Timon.

Diogène, auquel nous empruntons la plus grande partie du résumé qui va suivre, ne fait aucune distinction entre Pyrrhon et Timon même suivant sa coutume, c’est la doctrine générale des Pyrrhoniens qu’il expose sous le nom de Pyrrhon, sans distinguer ce qui appartient au maître de ce que les disciples ont pu y ajouter. Il en est de même d’Aristodès dans le fragment que nous a conservé Eusèbe.

II. Un historien ancien, Aristoclès[2], résumait en ces termes la doctrine de Pyrrhon : « Pyrrhon d’Élis n’a laissé aucun écrit ; mais son disciple Timon dit que celui qui veut être heureux doit considérer ces trois points : d’abord, que sont les choses en elles-mêmes ? puis, dans quelles dispositions devons-nous être à leur égard ? enfin que résultera-t-il pour nous de ces dispositions ? — Les choses sont toutes sans différences entre elles, également incertaines, et indiscernables. Aussi, nos sensations ni nos jugements ne nous apprennent-ils pas le vrai ni le faux. Par suite, nous ne devons nous fier ni aux sens, ni à la raison, mais demeurer sans opinion, sans incliner d’un côté ni d’un autre, impassibles. Quelle que soit la chose dont il s’agisse, nous dirons qu’il ne faut pas plus l’affirmer que la nier, ou bien qu’il faut l’affirmer et la nier à la fois, ou bien qu’il ne faut ni l’affirmer ni la nier. Si nous sommes dans ces dispositions, dit Timon, nous atteindrons d’abord l’aphasie, puis l’ataraxie. » — Douter de tout, et être indifférent à tout, voilà tout le scepticisme, au temps de Pyrrhon, comme plus tard. Epoque, ou suspension du jugement, et adiaphorie, ou indifférence complète, voilà les deux mots que toute l’école répétera : voilà ce qui tient lieu de science et de morale. Examinons d’un peu plus près ces deux points.

Pyrrhon n’a pas inventé le doute car, bien avant lui, Anaxarque et plusieurs Mégariques ont tenu la science pour impossible ou incertaine. Mais Pyrrhon paraît être le premier qui ait recommandé de s’en tenir au doute, sans aucun mélange d’affirmation, au doute sys-

  1. Diog., 65. Paus. VI, 24, 4.
  2. Ap. Eus. præp. Evang. XIV, 18, 2, sqq.