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P. TANNERY. — la théorie de la matière d’après kant

méthode de Kant, et du fait de la subordination réelle où elle se trouvait par rapport à l’état de la science à cette époque. La confusion où il est tombé existait de fait alors dans l’esprit de la plupart des savants de cette époque, ou, si quelques-uns y échappaient, ils ne l’évitaient guère dans leur langage. Cette confusion n’a cessé qu’à la suite du développement indépendant de la cinématique et des réflexions qu’elle a naturellement provoquées, du moment où elle a acquis une importance propre.

C’eût été certes un grand honneur pour Kant que de prévoir l’avenir sur ce point et d’apporter la lumière là où, de son temps, elle était surtout nécessaire. Il n’est pas douteux que son génie ne fut suintant pour répondre il ce desideratum ; c’est donc sa méthode même qu’il faut accuser ; c’est l’illusion où il est tombé en prenant pour définitivement constitués les concepts généraux de la science de son temps au lieu de les analyser assez profondément pour en reconnaître l’élément susceptible de variations.

VI

Le principe d’inertie est souvent entendu dans un sens plus large que celui où nous l’avons restreint ; cette extension est illégitime en ce qu’elle conduit à faire rentrer dans ce principe comme conséquence, un autre principe essentiellement différent, celui de l’égalité entre l’action et la réaction.

Pour reconnaître d’ailleurs le véritable caractère de ce dernier principe, il convient de distinguer deux cas bien tranchés, celui où il s’agit d’une action et d’une réaction au contact ; celui au contraire où il s’agit d’une action et d’une réaction à distance.

Dans le premier cas, si l’on remonte, comme il convient, à Newton, le principe d’égalité d’action et de réaction est présenté comme à la fois déduit de la théorie et confirmé par l’expérience ; une analyse approfondie de ce principe, appliquée à la conception de la matière de Kant, par exemple, montre qu’il offre à la fois en effet, un côté apriorique et un côté empirique.

Si l’on considère un élément matériel, et qu’on suppose que sa forme reste invariable, ainsi que les positions réciproques de ses parties, il est facile de démontrer que les actions et réactions qui s’exercent à son intérieur sont égales et opposées ; si au contraire sa forme varie, pour plus de simplicité, on peut se borner à considérer