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autre forme, le principe d’où l’on est parti pour définir l’identité de masse. Il n’y a là aucune condition nouvelle de l’expérience, car cette masse perdue peut aussi bien a priori se retrouver en acte, ce qui est la conclusion empirique ordinaire, ou se retrouver en puissance, cas où elle serait à constater comme force, comme par exemple, si l’on admettait qu’une monade douée de volonté serait capable de modifier d’elle-même sa masse.

Il y a ainsi, dans l’énoncé du principe de la conservation de la masse, un élément apriorique incontestable, mais cet élément, qui n’est autre que l’application du principe de causalité, (la même masse, dans les mêmes conditions, prendra le même mouvement,) est introduit dans la définition même de la masse, qu’il légitime dans la mesure où le principe de causalité lui-même est légitime ; et la formule de Kant ne va pas plus loin, ne dit rien de plus que la définition de la masse.

Si la déduction qu’il fait a priori de son principe n’a que cette signification, que c’est une condition nécessaire de l’expérience d’appliquer le principe de causalité dans la forme que nous avons indiquée, il n’y a, certes, aucune critique à lui adresser, mais s’il a prétendu faire un autre pas en avant, il a empiété sur le domaine de l’expérience, et il suffit d’observer que sur ce domaine, la question n’est nullement claire.

Quoique ce soit un des résultats généraux de l’expérience que la matière pondérable est indestructible, et persiste constamment sous ses diverses transformations avec ses propriétés fondamentales, il n’est pas permis d’affirmer que sous certaines conditions extérieures elle ne se résolve pas en matière impondérable, qu’à son tour une certaine quantité de matière impondérable ne puisse composer de la matière pondérable ; une pareille manière de voir est d’accord avec certains faits et partagée par plusieurs savants. Mais, comme nous l’avons vu, la forme sous laquelle on se représente la matière impondérable est absolument hypothétique, et c’est par une pure convention qu’on lui attribue une masse, parce qu’on la suppose en mouvement, ce qui n’est nullement nécessaire. Il peut donc se faire qu’au point de vue empirique, le principe de la conservation de la matière devienne complètement illusoire, si on prétend l’étendre au delà des faits dûment constatés.