Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 19.djvu/37

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
33
P. TANNERY. — la théorie de la matière d’après kant

ment, c’est là un fait certainement de pure expérience au fond, et si je puis le déduire des principes généraux de la mécanique tels qu’ils sont aujourd’hui constitués, c’est que ces principes représentent toute une série d’expérience généralisées, et ont ainsi au moins un côté nettement empirique.

III

J’arrive à ce que Kant a appelé dynamique ; en fait, c’est la partie la plus originale de son ouvrage, celle où il expose ses vues particulières sur la constitution et les propriétés de la matière. Ce n’est nullement ce que nous appelons la dynamique aujourd’hui ; cette science est bien plutôt la mécanique de Kant. Sa dynamique appartiendrait plutôt à la physique générale ; il se propose d’y déterminer les conditions à priori sous lesquelles nous devons nécessairement nous représenter les forces qui agissent réellement dans la nature.

La conception générale de Kant n’est, au reste, nullement la conception atomique ; si c’est cette conception que j’ai critiquée principalement au début de cet article, c’est qu’elle est aujourd’hui la plus générale chez les savants ; mais au temps de Kant, elle était loin d’avoir conquis cette prédominance les fluides hypothétiques pour l’explication des phénomènes de chaleur, d’électricité, de magnétisme, étaient encore en faveur, et la question de leur constitution intime n’était guère soulevée. La théorie de l’émission pour la lumière était d’ailleurs loin d’obtenir l’assentiment unanime ; Euler par exemple défendait vigoureusement, dans ses Lettres à une princesse d’Allemagne, la théorie de l’ondulation d’Huyghens, pour qui l’éther était continu.

Dans ses travaux scientifiques (physiques), de la période antécritique, Kant s’était déjà élevé au-dessus de la conception atomique il avait notamment soutenu l’explication de la chaleur au moyen des ondulations d’un milieu il avait également développé une monadologie qui représente une conception spéciale, celle de centres de forces réduits à des points isolés, mais occupant dynamiquement tout l’espace par leurs sphères d’action. Dans l’ouvrage qui nous occupe maintenant, il a cherché à s’élever encore à un degré de généralité supérieur, et sa tentative mérite certainement d’être prise en considération.