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Une hypothèse toute récente, celle qui considère les atomes comme des tourbillons indestructibles au sein d’un fluide continu servira peut-être de transition, si elle n’est pas destinée à triompher définitivement ; en tous cas cette conception suffit à ma thèse, puisqu’abstraction faite de ces mouvements particuliers en tourbillons, le fluide matériel au sein duquel ils existent, est conçu comme immobile.

Ainsi, il faut reconnaître que, si nous pouvons légitimement dire avec Kant que la matière est ce qui est mobile dans l’espace, cette proposition renferme une convention commode à coup sûr, mais en tout cas arbitraire. En réalité, l’étude de la nature nous révèle deux classes de phénomènes assez distincts, quoique ces phénomènes correspondent toujours à des mouvements, soit d’ensemble, soit moléculaires, de la matière qui nous apparaît comme pondérable et douée de propriétés chimiques ; mais ces mouvements paraissent tantôt se transmettre au contact, tantôt à distance, tandis que, d’un autre côté, les molécules nous apparaissent comme isolées entre elles et séparées même par des intervalles considérables relativement à leurs dimensions. On est donc conduit à imaginer un milieu pour la transmission des mouvements, et la question de savoir si ce milieu doit être conçu à l’image de la matière pondérable et chimique, sauf à lui enlever certaines des propriétés de cette matière, ou si au contraire ce milieu doit se représenter tout autrement, cette question, dis-je, ne peut être tranchée ni à posteriori, ni à priori. La solution qu’on lui donne est purement conventionnelle en réalité, et l’on ne peut nier cependant que, suivant l’alternative choisie, la formule des principes généraux de la mécanique variera nécessairement.

Dans l’hypothèse atomique, le milieu étant conçu comme étant lui-même constitué par des atomes, il n’y a pas en effet à en tenir compte pour l’établissement de ces principes généraux, relatifs à l’inertie, à la composition des forces, à l’égalité d’action et de réaction. Mais si le milieu est conçu comme continu par exemple, il y a au contraire à en tenir compte et à se demander s’il ne convient pas par exemple de lui attribuer telle propriété qui rende raison de tel principe. Des questions de ce genre ont déjà été soulevées par divers penseurs[1] et il est inutile que j’insiste ici sur leur importance philosophique.

  1. Ainsi M. X. Kretz, Matière et éther ; M. Eudore Pirmez, De l’unité des forces de gravitation et d’inertie. Voir Revue philosophique, XII, p. 640.