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de s’écarter de lui. Mais ils ne montrent pas que leurs héros n’aient point subi l’influence du maître étranger dans une mesure incompatible avec la religion qu’ils voulaient exposer ; surtout, ils ne sauraient nier que ces docteurs, quel que fût leur langage, ne fussent cloués à tous les points du dogme ecclésiastique. C’est plus qu’il n’en faut pour paralyser la pensée. Durant les siècles où semblait régner l’unité de foi quelques esprits ont pu se mouvoir dans cette enceinte avec une apparente liberté ; mais si, par impossible, il en surgissait un tel aujourd’hui, la cause de l’Église devant l’humanité civilisée n’y gagnerait absolument rien. On ne discute point avec quelqu’un dont on sait qu’il n’a pas le droit de se laisser convaincre. Et ce qui est vrai de la conférence l’est aussi du monologue. On ne pense pas sérieusement lorsqu’on n’est pas libre d’accepter toute conclusion où la méditation pourrait nous conduire. Le papillon piqué dans un cadre ne saurait prendre son essor ; la suggestion même en semble cruelle. Il est impossible qu’une infaillibilité quelconque ne soit pas un amphithéâtre d’énervement. L’Église devrait, semble-t-il, le comprendre elle-même, en repassant la liste interminable des enfants qu’elle a condamnés. N’étaient-ce pas les mieux doués, les plus généreux, les plus sincères ? L’unité de formule, au delà de laquelle on ne saurait aller, est-elle d’un prix vraiment digne de tels sacrifices ? Quoi qu’il en soit de ces questions, il est manifeste qu’une restauration de la philosophie chrétienne soumise aux conditions que nous avons dites plus strictement encore qué dans le passé, ne saurait absolument pas aboutir.

Et pourtant c’était une pensée noble et sage de replacer devant le clergé les grands problèmes de la science et de lui rappeler des modèles dont il s’est trop écarté. Seulement il n’aurait pas fallu supposer que la philosophie est une science achevée. Ah ! si le Saint-Père était allé jusqu’au bout de son inspiration, s’il avait ôté l’épingle, s’il avait mis en liberté l’âme immortelle, s’il avait suivi le conseil de sa prudence avec la témérité de son prédécesseur, s’il avait usé de son infaillibilité, fraîche encore, pour s’affranchir de l’infaillibilité ! Sans rien désavouer du passé, laisser s’ouvrir sur toutes les questions, tranchées ou non, le débat contradictoire, cesser de condamner, cesser de définir ; résumé aux termes les moins abstraits et les plus simples la doctrine du salut par Jésus-Christ, en laissant à chacun le soi de se l’expliquer à sa marnière ; réfuter, convaincre, subjuguer si l’on peut, mais né jamais interrompre la discussion par une sentence autoritaire, tels seraient les moyens, les seuls moyens de ranimer chez les croyants une vie intellectuelle dont leur vie morale aurait beaucoup à profiter, de combattre