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secrétan. — la restauration du thomisme

cinio[1]», mais six pages plus loin il n’en confesse pas moins qu’après la raison, après le sens commun, après l’histoire, après la tradition scientifique, son école emploie comme critère « dove ocorra e giovi », la divine révélation ! « Il était si petit ! » dit la jeune personne infortunée.

Si le conseil de retourner au thomisme descendait d’une autorité moins auguste, on douterait qu’il soit sérieux. Chrétienne ou non, la philosophie veut une pensée tout d’une pièce, qui ne repose que sur des thèses vérifiables et non sur des articles de foi, et qui marche d’évidence en évidence. Permis à un penseur de s’inspirer d’une croyance (ne le fait-on pas toujours ?). Les esprits sans préjugé ne se laisseront pas arrêter longtemps par l’étiquette théologie qu’on applique ingénieusement à ses travaux, comme les pharmaciens collent les mots poison ou pour l’usage externe sur les fioles dont le contenu ne doit pas être avalé. Mais ce penseur ne pourrait plus être compté s’il se faisait un argument de sa croyance. Pour atteindre son but, il lui faut expliquer les faits, tous les faits connus ou par lui constatés, y compris ceux que d’autres ignorent ou qu’ils écartent, d’une manière plus complète que ses émules, plus précise, plus conforme aux besoins de la raison et du cœur. On ne saurait le tenir quitte à moins ; nul n’a qualité pour lui demander davantage. L’essai de rapprocher les dogmes établis et de les cimenter avec le secours d’une philosophie étrangère était probablement inévitable dans telles circonstances données ; mais la pensée chrétienne ne saurait en rester là, car un tel travail ne produira jamais qu’une fragile marqueterie. Il faut laisser là les modèles païens ; plus encore, il faut laisser là les dogmes, qui ne sont pas le Christianisme, mais des produits tels quels de l’esprit chrétien dans un moment particulier. Il faut saisir l’idée chrétienne dans sa plus grande simplicité, et chercher à comprendre le monde suivant cette lumière, dans la plus complète liberté d’esprit. « Si l’Évangile est compatible avec un système philosophique, ce n’est, dit fort judicieusement M. Lecoultre, qu’avec un système sorti de lui-même, qui en exprime l’essence sous une forme scientifique, mais sans alliage hétérogène. »

Les nouveaux thomistes distinguent mal une pensée qui s’inspire de la tradition d’une pensée enchaînée par la tradition. Lis prouvent au delà du besoin que les grands sommistes et commentateurs du xiiie siècle ne se considéraient point comme obligés de croire Aristode sur parole, et qu’en des sujets quelconques ils n’ont pas craint

  1. Rinnovemento, etc., p. 110.