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quoi que ce soit pour la remplacer. N’ayant le droit d’avancer dogmatiquement aucune doctrine avant de l’avoir justifiée par leur apologie, il ne leur reste plus, qu’ils le sachent ou non, d’autre terrain que la libre philosophie.

La condition du catholicisme semblerait donc meilleure : elle ne l’est pas. Il ne gouverne plus le monde, il a perdu son crédit sur les les lettrés et sur les marchands. Les campagnes même commencent à se détourner de lui. Tout est à refaire, l’esprit dans l’Église ne peut s’attester devant le siècle que par les œuvres de l’Église. L’exégèse de Rome, sa tradition, ne soutiennent pas un instant l’examen de l’histoire. La façon même dont elle entr’ouvrait naguère la porte de ses archives montre assez l’effroi que n’ont cessé de lui inspirer le grand air et la critique libre. Ses croyances pieuses déconcertent la bonne foi et ses miracles l’exaspèrent. Il lui faudrait attirer, il lui faudrait avant tout garder les cœurs dévots, les âmes généreuses, les esprits sincères, ces invisibles piliers des basiliques chancelantes, ces aromates inestimables pour ralentir la décomposition des morts. Il lui faudrait en un mot satisfaire aux besoins religieux mieux qu’elle ne le fait aujourd’hui. Eh bien, le fatalisme mal couvert du Docteur angélique, son Dieu dont la science prime l’amour, ses subtilités, ses distinctions, ses réticences, ses contradictions, son balancement perpétuel, les énormités de sa théodicée sont-elles vraiment propres à cet office ? C’est la question que nous avons posée en premier lieu, parce que l’autorité du Docteur angélique en théologie, matière dont la nouvelle école s’occupe assez peu, croyons-nous, ne parait plus être contestée. Ensuite, il faut se justifier devant la science moderne, et tel serait proprement l’objet des ouvrages dont nous avons transcrit les titres.

S’il ne s’agit que d’attaquer certaines vues émises au nom de cette science, le péripatétisme scolastique a conservé des catégories dont ces opinions ne sauraient décliner toujours le contrôle ; quelques Chapitres de l’abbé de Broglie ont fait pressentir le parti qu’on en pourrait tirer. Mais pour ester en justice, il faut justifier d’un titre personnel ; le thomisme entend établir aujourd’hui son droit à l’existence. Or comment soumettre à l’examen d’une critique impartiale un système composite où deux traditions hostiles s’entrechoquent incessamment, un appareil de démonstration appuyé sur l’indémontrable, où l’on répond aux objections de la raison par des textes sur l’autorité desquels les parties ne s’entendent pas ? M. Talamo n’est pas éloigné de comprendre la situation. Il blâme discrètement tel confrère de donner trop à l’autorité, et lui rappelle que la philosophie « come scienza rationale si tesse puramente al filo del razzio-