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secrétan. — la restauration du thomisme

prenons rien sans le concours de la volonté. Dans cette réciprocité d’action, c’est à la volonté qu’appartient toujours la prépondérance, Pour l’entendre il faut distinguer les moments. Nous ne voulons rien sans avoir une vue quelconque de l’objet voulu. Cette sorte de notion précède l’acte de la volonté, dans laquelle elle reste comprise. Mais cette première pensée, antérieure à l’exercice de notre activité volontaire, prima cogitalio, reste absolument insuffisante pour nous faire connaître son objet et pour ordonner notre conduite en nous donnant un motif d’action. Quand nous la fixons par la méditation pour l’enrichir, pour la préciser, pour l’épurer, la volonté préside à toutes les démarches de notre esprit, Cette pensée cultivée par la volonté (secunda cogitatio) constitue seule une connaissance véritable seule elle se résout en jugements, en affirmations et en négations véritables, seule elle nous offre des motif intelligibles et peut gouverner notre vie. Ainsi quand nous agissons sous l’empire d’une idée, c’est une idée à l’élaboration de laquelle a présidé la volonté, et finalement la volonté se détermine elle-même par l’intermédiaire de l’intelligence, qui la manifeste. Nous agissons d’après nos opinions, mais nous sommes responsables de nos opinions. La volonté, se cultivant elle-même, peut ainsi devenir capable d’atteindre le souverain bien, le but de son effort et de la vie, Qui est précisément la pleine réalisation de la volonté dans l’amour de Dieu, dans la possession de Dieu par le cœur, et non dans sa contemplation par la pensée. Ainsi le souverain bien n’est pas d’ordre intellectuel et spéculatif, il est pratique. Puisque ce but nous est assigné, nous sommes capables de l’atteindre, et les vertus théologiques ne sont pas infuses. Cependant, ni dans sa consommation ni dans ses débuts le développement normal de l’nomme ne s’accomplit sans le concours de la grâce divine, qui dirige le libre arbitre, qui le soutient et qui l’inspire, sans le contraindre ni le suppléer. Dieu produit donc en nous tout le bien qui peut s’y trouver ; mais nous y travaillons aussi nous-mêmes.

Le point de vue que nous venons d’esquisser est assurément plus original, plus fortement conçu, plus un que l’optimisme de Thomas, toujours empêché par la tendance morale du christianisme de suivre la logique de ses prémisses. Le système du docteur d’Oxford permettrait de serrer de bien autrement près le fait chrétien qu’une doctrine in. capable de reconnaître sans inconséquence la réalité d’un fait, la vérité d’un commencement, d’une contingence quelconque. Scot pouvait élever une philosophie chrétienne sur les bases qu’il avait posées, nous ne disons pas qu’il l’ait fait. Mais si sa morale reste empreinte d’un esprit monacal étranger à la charité sérieuse, s’il n’ac-