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est finis omnium actionum humanarum. C’est ainsi que l’homme réalise l’image de Dieu, la suprême intelligence.

En contradiction flagrante avec son déterminisme, avec son optimisme absolu, avec ses doctrines sur l’étendue de la causalité divine et sur la prescience de tous les futurs, Thomas professe catégoriquement le libre arbitre. Cependant il ne l’admet pas quant au but général de l’action ; nous avons constamment le bonheur en vue, mais dans les cas particuliers nous pouvons hésiter sur le choix du moyen le plus propre à l’avancer. Nous choisirons nécessairement la conduite qui nous paraîtra la plus avantageuse, mais c’est la volonté qui préside à cet examen, qui le ralentit ou qui l’accélère et qui s’imprime pour ainsi dire dans la conclusion. Ainsi le péché consisterait dans une erreur de l’intelligence suggérée par l’appétit sensible et rendue possible par la distraction de la volonté. C’est là ce que Dieu pour la glorification de sa justice punirait de tourments éternels. Le christianisme l’entend autrement. À ses yeux, le péché renferme une révolte de la volonté contre sa loi intérieure, dont il place le siège dans le cœur.

Évidemment, dit avec raison M. Lecoultre, saint Thomas est un péripatéticien, l’un des plus fidèles et des plus intelligents : il faut admirer la perspicacité avec laquelle il saisit et suit la pensée de son maître au travers des difficultés d’une exposition toujours très concise, parfois même un peu négligée. L’intelligence de saint Thomas ne s’arrête pas au texte d’Aristote, elle va jusqu’à la doctrine elle-même, dont il comprend parfaitement la teneur générale, autant du moins qu’on peut comprendre une doctrine philosophique en dehors de toute critique. Les réserves de saint Thomas sur l’éternité du monde et sur d’autres points semblables sont en général bien peu décisives, et, commandées par la doctrine ecclésiastique, elles prouvent fort peu de chose quant à la conviction philosophique personnelle de l’auteur. Partout où l’autorité de l’Église ne court pas le risque d’être compromise, saint Thomas ne se hasarde guère à critiquer son maître, et sans doute cette timidité doit nuire à la conception d’ensemble du système. Peut-on bien connaître et faire connaître ce dont on ne marque pas les limites. Il arrive à saint Thomas de commenter doctement et de justifier par des tours de force ce qui n’est dans le texte du philosophe qu’une incorrection accidentelle. Mais que de fois aussi, en résumant la pensée de son maître, en indiquant avec lucidité les transitions et les sous-entendus, il fait pour ainsi dire saillir, avec une justesse qui tient du génie, le squelette osseux de cet antique corps de doctrine, dont les parties les plus délicates et plus attrayantes échappent absolument à son analyse. Ces mérites, il est vrai, sont ceux du commentateur plus que du dogmaticien. »

Le Docteur angélique était sans doute un chrétien ; il était pieux,