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secrétan. — la restauration du thomisme

toires : le libre arbitre de l’homme et l’absolue causalité de Dieu, ou, ce qui revient au même, la condamnation du mal moral et l’optimisme déterministe. On a déjà vu de quel côté penche la balance. Sans nous arrêter à la terminologie, nous irons droit aux conclusions. L’appétit sensible tend au plaisir, la volonté tend au bonheur, dont elle ignore d’abord la nature et les conditions. L’appétit est susceptible d’obéir à la volonté par l’intermédiaire de la raison, mais l’empire de la raison sur les sens n’est jamais complet ; pour se soumettre aux lois de la raison, l’appétit inférieur doit se modifier par l’habitude de la vertu. La volonté, l’intelligence ont leurs vertus propres, mais les vertus morales sont des habitudes de l’appétit, qui nous font suivre une voie moyenne entre deux passions. Dans leur nombre nous trouvons d’abord les quatre vertus cardinales, les vertus de Platon, la prudence, la justice, le courage et la tempérance, auxquelles viennent se joindre, sans grand profit pour la clarté, la liste des qualités décrites dans la Morale à Nicomaque. Ces vertus morales, nous pouvons jusqu’à un certain point les acquérir nous-mêmes par l’influence naturelle de la raison sur l’appétit sensible. Elles n’atteignent pas leur consommation sans le secours de la grâce divine ; mais, tout imparfaites et souillées qu’elles soient, Dieu les récompense par le don gratuit des vertus de la pensée et de la volonté, les vertus théologales, la foi, l’espérance et la charité, qui, suivant le mot d’un Sarrazin mystique recueilli par la théologie romaine, sont ainsi des vertus infuses. Ainsi la grâce de Dieu n’accompagne et ne soutient pas l’âme depuis l’origine de son développement moral jusqu’à son terme ; nous pouvons acquérir par notre seul effort les mérites de l’honnête homme, et ces mérites, Dieu les récompense au delà de leur prix par le don gratuit de la piété, dans l’acquisition de laquelle l’âme reste absolument passive, bien qu’elle y doive consentir.

L’amour de Dieu, qu’il fallait bien placer au sommet de l’échelle par respect pour les déclarations expresses de la parole inspirée, n’est pourtant pas le bien parfait et le but de la vie. La supériorité que le Docteur angélique attribue hautement à l’ordre intellectuel sur l’ordre moral ne le permet pas. Pour lui comme pour son maître Aristote, le but est la contemplation de la vérité. Seulement, tandis que le naturaliste, étranger à la notion d’un monde à venir, n’accorde qu’à quelques-uns, pour quelques moments, cette participation à la vie divine, Thomas promet dans le Ciel à tous les fidèles la vision béatifique, suprême satisfaction de l’intelligence : Amor non potest esse ultimus finis ; amatur enim non solum bonum quando habetur, sed etiam quando non habetur… Finis igitur intellectus