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ménal lui devient homogène, et la possibilité d’une action réciproque de Dieu et du monde paraît un peu moins incompréhensible, bien qu’assurément les véritables conditions n’en soient point encore données.

V

Les doctrines du péripatétisme arabe ne tardèrent pas à franchir les Pyrénées. David de Dinant, l’une des premières victimes de l’unité romaine, en appelait beaucoup à Aristote. C’est à l’influence d’Aristote que ses juges attribuèrent l’origine d’un panthéisme qu’il aurait pu tirer plus directement d’ailleurs. Traduites en latin dès le commencement du xiie siècle par les soins d’un archevêque de Tolède, les œuvres d’Aristote et celles de ses commentateurs sarrasins n’en furent pas moins accueillies avec avidité dans la Faculté des Arts de Paris. Aristote, interprété par Averroès, y devint pour un grand nombre de docteurs l’autorité suprême, irréfragable, le philosophe, identique à la raison même. Les premiers péripatéticiens français constatèrent hardiment le désaccord entre le dogme et la pensée du philosophe, ne craignant pas d’ajouter que la doctrine de l’Église fourmille d’erreurs. Cette attitude eut pour effet naturel l’interdiction de lire la physique et la métaphysique du savant macédonien. Non moins naturellement, l’interdiction ne fut pas respectée ; les meilleurs mêmes cédaient à la curiosité, et, parmi les conseillers es plus autorisés du Saint-Siège, Aristote trouva bientôt des défenseurs. Aussi la prohibition primitive reçut-elle en 1231 déjà une forme moins absolue ; Grégoire IX maintint alors et renouvela la défense d’étudier les textes suspects « jusqu’à ce qu’ils eussent été corrigés et expurgés ». Cette opération singulièrement délicate ne s’exécuta jamais d’une manière officielle. Mais sous l’empire de ces ordonnances, qui rigoureusement ne s’appliquaient qu’au diocèse de Paris, des dominicains fort attachés au Saint-Siège et possédant son entière confiance, à Cologne Albert de Bollstaedt, à Rome son disciple Thomas d’Aquin, continuèrent à commenter assidûment les textes interdits, qu’ils s’efforçaient d’interpréter dans un sens orthodoxe partout où la chose était praticable, sans hésiter à les combattre et à les condamner sur les points où le désaccord ne pouvait pas être déguisé. Leurs ouvrages, particulièrement ceux de saint Thomas, qui ont acquis dans l’Église une autorité souveraine, offi-