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secrétan. — la restauration du thomisme

les sorties, il le réaliserait dans sa vérité. L’étude est mouvement, le savoir est acte. C’est un but atteint, un repos conquis ; mais si ce repos s’oppose au mouvement, il n’est pas une privation de mouvement, il en est bien plutôt la meilleure forme, la suprême vérité. Réaliser simultanément dans l’existence tout ce qu’on possède en puissance, tel est l’acte pur. La perfection de l’acte et de la vie, c’est la pensée, la pensée pure, qui n’a d’autre objet qu’elle-même, la pure conscience, la pure affirmation de soi tout entier. Ainsi nous retrouvons l’éternel et l’immuable, mais une éternité vivante, c’est toujours l’idée, ce phare posé par le disciple de Socrate au sommet de l’être et de l’intelligence ; mais maintenant le phare est allumé, la lumière y vibre et ses rayons nous découvrent le monde, le mouvement, dont cette immobilité renferme toutes les puissances. La chaleur ne manque-t-elle point à cette lumière ? La pensée pure, la pensée de la pensée, entièrement abstraite du monde, dont elle est pourtant la vie, nous donne-t-elle vraiment la clef de ce monde et de nous-mêmes ? « En Dieu tout est simultané. Dieu ne saurait avoir d’autre objet que lui-même » : ces deux doctrines qui vont s’imposer à la théologie ont-elles religieusement quelque valeur, sont-elles conciliables avec la religion ? Plus généralement, appartient-il à notre intelligence imparfaite de formuler la perfection ? Ces questions et tant d’autres qui se pressent, nous ne saurions les discuter aujourd’hui. Reconnaissons seulement qu’en faisant entrevoir dans l’être pur un principe d’activité intérieure, l’induction spéculative d’Aristote nous rapproche en quelque mesure du Dieu personnel qu’avaient anticipé Socrate et Platon, tandis que leur méthode les en éloignait, du Dieu vivant dont la foi chrétienne a besoin pour se justifier devant la pensée.

Aristote nous fait avancer vers le but de plusieurs façons : Si l’être n’est plus chez lui la négation pure et simple du devenir, mais la consommation de devenir, dont il réalise toute la vérité ; l’inévitable principe du changement n’y est plus à son tour l’incompréhensible négation de l’être, mais la virtualité de l’être, un germe d’être, un commencement d’être (inchoatio formæ) placé dès l’éternité (nous ne savons comment, par exemple) en face de l’être épanoui. La matière elle-même s’idéalise ; germe d’être, elle est germe de pensée, puisque l’être est pensée. Cédant à l’attrait que la pensée pure exerce sur elle, au désir de devenir pensée pure elle-même, la matière, esprit virtuel, se réalise spontanément dans une série de formes toujours plus hautes, c’est-à-dire toujours plus propres à servir d’organes à la pensée. Ainsi, tout en restant absolument séparé de l’être immuable, le principe immanent du monde phéno-