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ses principes constitutifs, mais dans toute son économie. On ne peut donc plus chercher de ce côté l’opposition de termes homogènes indispensable à toute histoire. Par contre, les éléments éternels de l’être, tels que les a conçus le naturaliste, nous offrent quelque chose qui commence à s’en rapprocher, D’après Aristote, l’histoire, comme la nature, qu’elle achève, tourne dans un cercle fatal. Néanmoins, le penseur qui ravale ainsi l’histoire possède la première condition de son intelligence, il croit au mouvement, et la lettre de vie trouve place dans son alphabet. C’est qu’au lieu de ne toucher qu’un instant la terre, pour arracher aux objets passagers le nom qui les définit et l’emporter dans un monde inconnu, Aristote s’installe ici-bas. Quelques maximes de l’école dialectique qu’il ait pu conserver sur l’objet de la science proprement dite, il croit aux sens comme à la raison et n’entend point séparer ces deux témoignages, mais les contrôler et les compléter l’un par l’autre. Il ne rougit pas des phénomènes, il les observe, et c’est du particulier des faits qu’il s’élève aux généralités les plus hautes. Informé par Héraclite que tout dans le monde sensible se résout en mouvement, le mouvement devient le point de départ de sa spéculation ; il en analyse les espèces, il en cherche l’origine, et il la trouve dans un mouvement qui ne commence ni ne s’achève, c’est-à-dire dans un mouvement circulaire, tout autre étant nécessairement arrêté par les limites de l’espace. Celui-ci ne saurait être causé par un autre, sans quoi la régression s’étendrait à l’infini. L’être en circulation se meut donc lui-même, et pourtant il faut encore distinguer en lui ce qui meut de ce qui est mû ; il réclame un moteur immobile : un moteur, disons-nous, c’est-à-dire un motif, une raison d’être ; Aristote use encore des termes de la mécanique au moment où sa pensée est déjà bien plus haut. À leur chercher un sens mécanique, ses énoncés sur le moteur immobile seront justement taxés d’arbitraires, l’histoire de son école l’a bien prouvé ; la nécessité d’un moteur immobile est une nécessité toute rationnelle : c’est la nécessité de la perfection, qui est raison d’être pour le précepteur du glorieux fils de Philippe comme pour le précepteur du fils obscur de Louis le Grand. Il y a quelque chose en effet au-dessus du mouvement, du devenir, du passage du non être à l’être ; c’est le passage de l’être à l’être, c’est l’affirmation de soi-même, c’est la jouissance de soi-même, c’est l’acte, c’est la vie, dont la forme la plus parfaite est la pensée. L’enfant grandit, ses facultés se dégagent et se déploient, il devient homme ; voilà la mouvement. Mais l’adulte possède ses facultés ; il en dispose, il les exerce ; il figure l’acte, et s’il ne vieillissait pas, si les entrées compensaient exactement chez lui