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secrétan. — la restauration du thomisme

compte, veulent que Platon l’ait admis. Mais c’est ce Dieu distinct des idées, cette intelligence divine en acte que nous ne saurions concilier avec la logique du platonisme. Les idées objectives forment un système correspondant à la hiérarchie formelle de nos concepts : l’idée du genre est supérieure en dignité, en valeur, en perfection à celle de l’espèce, ainsi que Socrate, fondateur de la dialectique, le fait voir par des exemples empruntés à l’ordre moral, où l’espèce coïncide avec le moyen et le genre avec le but. Dès lors, l’idée des idées, l’idée par excellence, l’Idée du Bien, répondra forcément au concept le plus général, à la notion la plus abstraite et la moins déterminée. Mais, au-dessus de l’idée du bien, il n’y a rien. Comment trouver un Dieu créateur dans cette suprême abstraction, qui n’est plus l’être et n’est plus la pensée ? Nous ne parvenons pas à l’entendre. Pareil au Dieu de Spinosa, le Dieu de Platon, l’idée du bien, comprend tout, c’est-à-dire qu’il absorbe et confond tout en lui, mais il ne pourrait rien produire. La seule réalité véritable que le platonisme nous semble comporter, c’est le système des idées. Ce monde présente une multiplicité ordonnée, mais il est aussi glacé que le monde uniforme des Eléates. Suivant Platon comme suivant Parménide, le changement n’a rien de réel, rien de vrai ; pour en expliquer l’illusion, force leur est bien, à l’un comme à l’autre, de reconnaître un principe du changement, d’avouer l’être du non-être ; mais chez Platon comme chez Parménide, ce principe est tout négatif. Qu’on comprenne ou non le sens de son nom, que je ne me flatte point d’entendre, on y voit du moins l’intention marquée de le diminuer autant que possible. Et tout ce qui participe au changement rentre dans le non-être, dans l’illusion ; Platon refuse de prendre au sérieux le mouvement et les choses muables ; il ne leur fait pas de place dans la science. Ainsi, lorsqu’on impose au platonisme une certaine conséquence, on ne trouve ni dans l’impossible création d’un Dieu immobile, ni dans la réalité d’une substance coexistante le moyen d’arriver à la pluralité d’agents qu’exige une véritable histoire : pas plus qu’il ne nous permettrait d’attacher une importance sérieuse au récit d’un fait quelconque, d’un changement, qui appartient à la sphère des changements et ne mérite que nos dédains, pour la raison, toujours excellente, que nous ne le comprenons pas. Les platoniciens du moyen âge, même ceux qu’on tient pour orthodoxes, sont bien dans la situation d’esprit que nous cherchons à dessiner ; l’immuable seul les intéresse, aussi l’histoire évangélique reste-t-elle assez indifférente à leurs théologies.

Avec Aristote, il n’est pas question de création, ni mythique ni conjecturale ; il affirme l’éternité du monde, non seulement dans