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ANALYSES.p. von gizycki. Philosophie d’Épicure.

objections de Hegel et de Ritter. Il reproche à Épicure son défaut de sens scientifique et le caractère superficiel de sa doctrine. Il lui attribue l’opinion d’une origine céleste de l’homme, en prenant littéralement un vers de Lucrèce (II, 991) dont le sens allégorique est nettement établi par les vers qui suivent. Puis il parle d’une matière éthérée (ätherische Stoffe) que l’homme comme les autres êtres vivants aurait en lui, ce qui reproduit la distinction également admise par les Stoïciens de ce qui est noble dans l’homme et de ce qui ne l’est pas, et exprime sous une forme matérialiste l’opposition de l’esprit et de la matière. Mais : 1o  au vers (V), 994, il est question des plantes et il y aurait lieu d’admettre en elles la distinction de ce qui serait noble et de ce qui ne le serait pas, tandis que les Épicuriens ne reconnaissaient aucune âme aux plantes (de plac. ph.), 2o  Lucrèce parle de semen cælestum qu’il explique plus loin par les mots liquentis humoris guttas, mais il ne fait aucune mention d’une matière éthérée ; 3o  l’âme ne contient d’après Épicure aucun atome d’éther et on ne saurait dès lors distinguer en elle des parties nobles et des parties qui ne le sont pas ; 4o  enfin Lucrèce nie formellement cette origine céleste de l’humanité (II, 1153, V, 793).

Zeller cite encore une réponse à vrai dire peu satisfaisante de Philodème à ceux qui soutenaient que le soleil, ayant besoin d’un temps assez long pour s’élever au-dessus de l’horizon tout en se mouvant très vite, devait être plus grand qu’il ne nous le paraît, contrairement à ce que soutenaient les Épicuriens. Il se loue d’avoir pu, par un exemple de cette espèce, montrer la pénétration logique et l’esprit scientifique d’Épicure et de son école. Mais d’abord cette réponse est empruntée à un écrit sur la logique (περὶ Σημείων καὶ Σημειώσεων) et elle est par suite nécessairement incomplète ; de plus, Kant, qui est à coup sûr le plus compétent des philosophes allemands en cette matière, proclame les Épicuriens les meilleurs physiciens de l’antiquité grecque. Enfin, en usant de pareils procédés d’appréciation, il n’est pas un ancien philosophe qu’on ne puisse appeler un babillard et un insensé. C’est ce qu’on dirait de Platon à propos de certains passages du Timée dans lesquels Zeller, qui ne saurait les prendre au sérieux, ne veut voir qu’un mythe, tandis qu’Aristote qui avait été le disciple de Platon pendant vingt ans, qui le voyait tous les jours pendant qu’il composait le Timée, les prend au sérieux et les discute longuement ! C’est ce qui pourrait arriver de même pour Aristote et les Stoïciens. Il semble donc que, lorsqu’on se trouve en présence d’hommes tels que Platon, Aristote, Épicure et Chrysippe qui ont été admirés par les plus intelligents de leurs contemporains et de leurs successeurs, on devrait se rappeler qu’ils étaient sujets à l’erreur plus que nous-mêmes, parce qu’ils n’avaient pas à leur disposition la méthode inductive qui seule peut donner des résultats en physique, mais qu’il ne convient pas de juger par leurs erreurs de leur intelligence et de ce qu’ils ont fait pour l’humanité.