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secrétan. — la restauration du thomisme

cupait-il pas le cœur de la place ? n’était-il pas le philosophe de saint Augustin ? et saint Augustin ne fut-il pas le véritable oracle du moyen âge ? Platon ne parle-t-il pas d’un Dieu créateur, d’une coulpe originelle, d’une vie à venir ? Et pourtant avec Platon l’on n’aboutissait pas. À l’exception du Timée et peut-être du Phédon, les dialogues du grand Athénien n’étaient pas connus, et ces deux ouvrages sont précisément ceux où l’élément mythique abonde le plus. Le récit de la création dans le Timée côtoyait celui de la Genèse plutôt qu’il n’en faisait comprendre la possibilité. Sans écarter l’anthropomorphisme avec une sévérité que l’orthodoxie ne comportait pas, les songeurs du cloître qui avaient bu dans la coupe de Proclus, de saint Augustin et de saint Denis l’ivresse de l’absolu que Platon lui-même avait versée, s’aperçurent bientôt que cet anthropomorphisme ne leur disait rien. Dans ses études fort savantes, mais un peu longues, sur l’Aristotélisme de la scolastique, M. le professeur Talamo, de Naples, l’un des principaux représentants du thomisme en Italie, assigne des raisons fort plausibles à la préférence que les grands docteurs catholiques accordèrent à Aristote dès le moment où l’œuvre de ce grand homme leur fut connue : L’édifice du savoir scolastique réclamait avant toutes choses l’enchaînement logique de ses matériaux ; Aristote enseignait cette logique rigoureuse dont il était l’inventeur. — Il apportait un ensemble imposant d’informations sur les sciences physiques et naturelles, économiques, politiques et même morales, que le moyen âge n’eût point trouvées chez son premier instituteur lors même qu’il aurait possédé le texte complet de ses œuvres. — Le Stagirite révélait à la curiosité la plus ardente les origines de la philosophie et son développement jusqu’à Socrate. — Il donnait l’exemple d’une discussion méthodique et d’un style didactique net et précis, purgé de ces agréments sous lesquels se dissimule souvent chez son maître l’incapacité de démontrer, et qui laissent le doute planer sur sa vraie pensée.

Tout cela n’est guère contestable, et l’importance des points touchés n’échappe à personne. Ils renferment peut-être les seuls motifs dont les scolastiques se soient rendus compte ; cependant nous entrevoyons d’autres raisons plus intimes et plus topiques, qui justifieraient au besoin leur choix. Les idées maîtresses du péripatétisme nous semblent un peu moins antipathiques au christianisme que celles qui s’imposent au divin Platon et qui avaient dominé le premier moyen âge. Expliquons-nous :

Avant tout, il faut bien entendre que le christianisme n’est point un corps de doctrine, mais une histoire, vraie ou fausse, l’histoire des périls de l’humanité et de son salut par l’intervention effective