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ANALYSES.giraud-teulon. Les origines du mariage, etc.

ait été enveloppé dans celui de famille, et que le progrès de la civilisation ait consisté à distinguer les éléments familiaux et les éléments sociaux les uns des autres, en réduisant les premiers à leur minimum, faudrait-il en conclure que, fidèle à sa marche antérieure, l’évolution future amènera la suppression totale du dernier groupe qui subsiste de la famille des temps passés, père, mère, enfants ? Les démocraties de l’avenir, détruisant la famille sous prétexte de lui substituer l’État, en reviendront-elles aux groupes communistes des origines ? Nous ne pensons pas nous laisser uniquement diriger par la répulsion qu’inspire une pareille idée, en espérant que, malgré les modifications qu’on peut prévoir dans la constitution de la famille, celle-ci cependant continuera à demeurer la base des sociétés futures et la molécule sociale par excellence. Il serait possible, en effet, que le type de la famille monogame passât à l’état de caractère fixe dans les mœurs de l’homme, sous l’influence de l’amour durable d’un homme et d’une femme, qui parait tendre, avec le progrès, à devenir une des formes prédominantes de la passion humaine.

« L’intérêt social semble d’ailleurs devoir encourager cette union durable. Pour se perpétuer, la société ne saurait avoir d’organe reproducteur plus approprié que le couple monogame… Enfin, le désir d’acquérir en vue de ses enfants est le stimulant le plus énergique du travail et du dévouement chez l’homme… L’amour paternel n’est-il pas plus puissant que l’égoïsme individuel ? La famille, c’est la prévoyance, c’est-à-dire la source la plus féconde de la production des capitaux. La détruire en attaquant le principe de la transmission héréditaire des biens, serait atteindre ans ses sources vives la richesse générale de l’humanité. La tyrannie de l’État socialiste pourrait seule y réussir momentanément, car, laissé à ses libres impulsions, l’homme s’éloigne de plus en plus du communisme primitif. »

Le véritable antagonisme, selon M. Giraud-Teulon, n’est pas entre la famille et la société, mars entre la liberté et l’égalité. « C’est par haine de l’inégale participation des êtres humains aux biens matériels que les socialistes attaquent la famille. » Il développe cette idée, en prenant pour texte un passage de M. de Laveleye. Nous croyons avec lui contre M. de Laveleye, que démocratie signifie, non pas égalité effective des conditions, mais liberté individuelle, c’est-à-dire égalité des droits civils et politiques ; que par là seulement les sociétés à venir seront meilleures et plus heureuses que les sociétés primitives ; qu’il n’y a, s’il en est ainsi, aucune raison de prévoir, encore moins de souhaiter la disparition de la famille, fruit naturel de la liberté, école incomparable de solidarité et de cohésion volontaire, bref « la molécule sociale par excellence », aussi longtemps que l’idéal social sera le libre accord des volontés dans le droit, non leur absorption dans une communauté confuse et misérable, laquelle nous ramènerait aux sociétés utérines communistes, pour ne pas dire à la promiscuité originelle.

Henri Marion.