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dort au fond des doctrines brillantes du disciple de Socrate, reparaît avec un relief singulier chez ces premiers métaphysiciens des peuples modernes.

Gilbert de La Porrée fut condamné ; mais les partisans des trois principes ne parvinrent jamais à résoudre le problème posé par Anselme, en formant une conception générale du monde propre à faire entendre la possibilité du christianisme tel que l’Église l’avait défini. Des sectes ouvertement panthéistes se produisirent ; on en eut raison par les supplices ; mais l’Église, qui voulait raisonner sa doctrine et ses pratiques, n’avait pas d’autre métaphysique à prendre pour base que celle dont se réclamait l’hérésie. Aussi l’emploi de la dialectique en philosophie devint-il suspect aux dévots. Pierre le Lombard lui-même fut signalé comme un fauteur dangereux et l’un des « quatre labyrinthes de la France ».

IV

Lorsque les versions latines d’Aristote et des Arabes ses commentateurs commencèrent à se répandre, on ne saurait douter que l’abondance des renseignements, vrais ou faux, qu’elles apportaient sur les choses de la nature (auxquelles il est impossible de refuser bien longtemps toute attention), n’ait été l’une des causes principales du vif empressement qui les accueillit. Aussi voyons-nous le grand Albert, fondateur de la scolastique péripatéticienne, reprendre l’étude des sciences naturelles, avec plus de zèle, il est vrai, que de méthode. Nos campagnes ont conservé la mémoire de son prodigieux savoir. Cependant, dès l’origine, les disciples chrétiens du péripatétisme y cherchèrent et crurent y trouver de nouveaux moyens de remplir le programme un peu compromis d’’Anselme : comprendre, systématiser, démontrer l’objet de la foi.

Aristote, Platon, lequel des deux est le plus propre à fournir les bases d’une métaphysique acceptable par l’esprit chrétien ? Tout semble d’abord parler en faveur du maître. L’Allemagne possède un ouvrage assez réputé sur les éléments chrétiens du platonisme (das Christliche im Plato). On pourrait y faire un joli pendant sur les éléments platoniciens dans la doctrine chrétienne ; ce livre servirait de commentaire au premier. Au reste, je ne doute pas qu’il n’existe déjà, car quel est le sujet dont un Allemand n’ait pas discouru ? Platon semblait donc avoir tout pour lui, n’était-il pas au bénéfice de la possession, n’oc-