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jours, un homme dont l’appareil auditif serait extrêmement irritable, et uni par une intime sympathie à chaque mot éveillé dans la mémoire. M. Paulhan n’a cependant nullement ébranlé par là la chaîne de mes arguments. Il aurait dû d’abord en prendre une idée plus complète, les examiner, et vérifier alors seulement la conformité de ses théories avec ses propres observations, lesquelles me semblent du reste n’avoir été ni assez profondes, ni assez étendues.

Je prie en effet le lecteur d’ouvrir n’importe quel texte étranger, et de retenir un mot. Je proposerai, par exemple, de prendre un livre où se trouveraient imprimés lisiblement pour nous des mots chinois. Il s’agit de savoir si en les lisant seulement du regard, on entendrait en même temps quelque chose. Or, en pareil cas, je n’entends rien, et je ne doute pas que tous les lecteurs n’en tombent d’accord avec moi. Je prie maintenant le lecteur de fermer le livre et de se rappeler un mot chinois, de façon à constater s’il percevra cette fois l’image d’un son. Pour mon propre compte, je puis affirmer que cette perception ne se retrouve nulle part dans le souvenir du mot chinois que je n’ai fait que voir. Comment d’ailleurs une pareille perception serait-elle possible ? Se rappeler, c’est provoquer dans l’esprit le retour de quelque chose qui y a été contenu une fois. Mais s’il s’agit d’un mot que je n’ai jamais entendu prononcer, comment pourrais-je me rappeler la manière de le prononcer ? À quel son de voix pourrais-je rattacher un pareil souvenir ? Et si néanmoins quelqu’un s’obstinait à soutenir qu’il a également perçu dans ce cas l’image d’un son, ne serais-je pas fondé à ne voir en lui qu’un halluciné ?

Comme je l’ai déjà fait remarquer, je peux très bien joindre au souvenir d’un mot celui des lettres qui le composent. Le fait est cependant très rare, surtout quand les caractères d’impression n’ont rien de frappant ni qui puisse intéresser. L’image des lettres disparaît ; d’autre part l’impression acoustique n’était pas comprise dans ce qui regarde le mot chinois, et cependant celui-ci subsiste dans notre esprit et nous pouvons le répéter. C’est qu’en réalité ce mot consistait essentiellement pour nous dans les images motrices.

Je ne regarderai cependant ceci que comme des observations préliminaires. La prétention de M. Paulhan d’avoir toujours une image acoustique des mots, ne ne paraît pas constituer un argument sérieux contre ma théorie, ni mériter que je m’y arrête davantage.

M. Paulhan a néanmoins présenté une autre objection qui n’est pas sans importance. Pendant qu’il se représente la voyelle A, dit-il, il peut se représenter en même temps les voyelles A, E, I, O, U. Cette objection serait certainement d’un grand poids et renverserait