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stricker. — note sur les images motrices

facilement les mots quand l’impulsion interne ne suffit pas à les rappeler, et que cependant on se les rappelle aussitôt qu’on les rencontre écrits ou prononcés à haute voix. Il en résulte ensuite qu’un homme devient aphasique, quand la circonvolution de Broca est atteinte, c’est-à-dire qu’il perd la faculté de parler d’après des excitations intérieures, bien qu’il continue à comprendre les mots prononcés devant lui, et qu’il puisse les répéter après quelqu’un ou les écrire sous sa dictée. Mais aussitôt que la maladie grandit et que l’excitabilité du centre du langage décroît, le malade semble être devenu sourd et aveugle pour l’écriture. Il entend très bien, il voit, mais il ne comprend ni ce que l’on dit ni les caratères écrits qui tombent sous ses yeux. Le centre du langage ne peut plus être excité ni par le nerf acoustique ni par le nerf optique.

Aussi longtemps que nous sommes dans l’état normal et que le centre du langage fonctionne régulièrement, il éprouve une excitation à chaque parole entendue. À chaque impression acoustique produite par le mot articulé se rattache l’image motrice du mot ; mais cette impression augmente-t-elle d’intensité, on ne remarque plus la fonction motrice. Je n’ai d’abord découvert celle-ci qu’indirectement, et j’ai eu les plus longs efforts à faire pour en obtenir une notion directe. L’impression acoustique, dis-je, éveille l’image motrice et s’y associe. Peu à peu, comme je l’ai déjà remarqué, l’image du son disparaît et l’image motrice du langage reste. Le même fait a lieu en ce qui concerne les mots que nous lisons si ce n’est que l’image des lettres, toutes les fois qu’elles n’affectent pas de formes particulièrement frappantes, disparaît beaucoup plus rapidement que les images des sons. Je n’ai encore rencontré personne qui m’ait dit s’être représenté le contenu d’un article de journal avec les caractères imprimés qui le composaient. On peut retenir par cœur plusieurs articles, plusieurs phrases, mais en paroles que l’on prononce intérieurement et non en images graphiques de mots que l’on pourrait lire dans la mémoire, comme sur des fendilles imprimées. Il arrive d’ailleurs très souvent qu’on ne se rappelle pus si on a lu ou entendu telle phrase, ni dans quel livre et à quelle page on l’a lue. Or cet oubli serait-il possible, s’il était vrai que l’on retint ses lectures, en se rappelant l’image des lettres ?

Quant à l’objection que M. Paulhan croit avoir opposée à ma théorie, en disant de lui-même qu’il se représente toujours les mots sous l’image de l’ouïe ou du son, il est loin de l’avoir prouvée. Sans doute, je n’ai pas contesté qu’on ne puisse unir les images du langage à celles du son et se les représenter comme recouvertes par ces dernières. Mais M. Paulhan serait si sa thèse se vérifiait tou-