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secrétan. — la restauration du thomisme

vraies tendances de la religion sacerdotale, qui fait du salut une exemption de peines, une assurance de bonheur futur indépendante des dispositions morales du fidèle, et qui permet à celui-ci de se décharger sur le prêtre de toute inquiétude sur son sort à venir, moyennant une obéissance plus ou moins strictement exigée suivant les circonstances des temps et des lieux. Cette grande ligne du catholicisme fut définitivement arrêtée par Pierre le Lombard, qui prit une part importante à l’achèvement du dogme en complétant la liste des sacrements. Dans son livre des Sentences, les questions théologiques se disposent dans un ordre méthodique avec l’opinion des principaux docteurs sur chacune d’elles, et les conclusions de l’auteur. Nul n’ignore que ce texte capital fut cent ei cent fois commenté dans l’école, dont l’enseignement s’est en quelque sorte constitué sous cette forme. Quelques-uns des plus grands monuments du moyen âge sont des commentaires du Lombard. Contrairement aux aspirations d’une spiritualité dangereuse, Pierre établit fortement la valeur et la nécessité des rites matériels, des sacrements, établis de Dieu lui-même pour condescendre à notre nature et remplir notre vie sans la détourner de son suprême objet. À l’importance des sacrements se mesurent le rôle et la dignité du prêtre, qui a seul qualité pour les administrer. La théologie du savant prélat allait tout entière à l’exaltation du sacerdoce. Telle est l’explication naturelle de son incomparable succès.

Saint Anselme posa le problème à la solution duquel la pensée du moyen âge devait se consumer ; le Lombard arrêta la forme de cette investigation.

Avant eux, la philosophie et la théologie n’étaient pas encore si étroitement unies. Sans connaître les textes de Platon ni de Plotinnos plus anciens philosophes suivaient l’impulsion de l’école platonicienne. Scot Erigène divise toutes choses en quatre genres : ce qui crée et n’est pas créé ; ce qui est créé et qui crée ; ce qui est créé, mais ne crée point ; enfin ce qui ne crée point et n’est point créé. Ainsi, semble-t-il, la production ne serait qu’une apparence, et tout se résoudrait dans l’unité de la substance infinie. L’école de Chartres, contemporaine d’Abélard, statue trois principes, Dieu, l’âme et la matière, où s’incorporent les Idées, que l’âme y doit démêler pour retrouver dans la nature la pensée et le sceau de Dieu. Dieu seul est éternel, sans doute, mais l’âme et la matière sont perpétuelles. L’âme est une, la nôtre n’est qu’une étincelle de cette âme unique du monde. Pénétré de cette doctrine, le théologien Gilbert confessait que l’œuvre du salut est incompréhensible ; le changement en général étant incompréhensible, puisque tout est bien dans l’univers. L’Éléatisme, qui