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doctrines philosophiques, juives ou grecques, dans les écrits du Nouveau Testament, soumettons-nous à l’évidence et confessons que te recueil contient l’ébauche de plusieurs théologies distinctes, et qu’on en a logiquement tiré plusieurs, en s’attachant à certains passages pour en développer les conséquences, tandis qu’on en laissait d’autres dans l’ombre, quitte après coup, par des tours de force exégétiques, à les subordonner tant bien que mal au corps de doctrine élaboré sans égard à leur existence. Le choix des textes pris pour base ne peut évidemment pas avoir été déterminé par l’Écriture elle-même ; il suppose une croyance, ou du moins une tendance venant d’ailleurs. Inspirées ou non, les décisions des conciles sont un choix entre les opinions des docteurs, une sanction solennelle accordée aux sentiments de tels ou tels Pères de l’Église. Mais ces Pères sortaient des écoles grecques ; ils étaient nourris de la philosophie grecque, pour laquelle ils professaient le plus grand respect, jusqu’à la mettre au niveau des révélations de l’ancienne alliance. À en juger du dehors, on conclurait sans se compromettre qué la sagesse païenne est entrée pour une part dans l’élaboration du dogme chrétien. Et réellement la philosophie ne lui a pas fourni seulement une langue, une forme, des catégories ; elle en a profondément pénétré la substance même. L’élément spéculatif qu’elle y a introduit conserve tous les traits du génie grec tel qu’Athènes nous lé montre encore à cette heure, génie curieux, pour lequel la tête est tout et le cœur fort peu de chose. Les duretés, les impossibilités morales que lé moderne paganisme reproche à la doctrine traditionnelle, lorsqu’il va jusqu’à s’en enquérir, proviennent invariablement de cet ascendant qu’une culture intellectuelle supérieure assurait au paganisme de l’antiquité dans le sein même de l’ancienne Église.

Saint Augustin, qui a résumé longtemps la période des Pères pour notre Occident, nous offre un merveilleux exemple de la fascination exercée sur l’esprit chrétien par une métaphysique absolument étrangère à son inspiration propre et à ses mobiles. Augustin était chrétien, nul n’en peut douter ; coupable pardonné, il a voulu témoigner sa reconnaissance à l’auteur de son salut ; il aimait Dieu. Mais comment aimer le Dieu dont il a tracé l’image ? Ce Dieu crée dans le but de manifester ses propres perfections. Il est juste et charitable, mais sa justice et sa charité ne sauraient se déployer dans le même objet. Pour mettre au jour la justice divine, il faut qu’il y ait dés damnés ; l’éternité du mal moral et de la punition du mal formé une condition indispensable de la perfection du monde. Sans enfer, lé monde ne serait pas digne de Dieu. Pour donner occasion à la miséricorde, il au que parmi ces pécheurs, justes objets des vengeances divines,