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secrétan. — la restauration du thomisme

sans vie religieuse personnelle sont partout prompts à le faire ; lorsqu’il faut une certitude de la présence de l’Esprit-Saint autre que son action sur notre esprit, on arrive fatalement à l’infaillibilité. Les conciles, n’étant réunis que de loin en loin, ne sauraient suffire. Dans la pensée naïve d’une chrétienté qui voit toute la religion au dehors parce qu’elle n’en possède point en elle-même, Dieu lui devait un pape infaillible. Il le lui a donné.

Mais, si la confiance en l’esprit de Dieu qu’on croit posséder est un principe de progrès et de vie, l’infaillibilité, l’infaillibilité rétrospective, qui oblige à conserver du passé tout ce qu’on n’en peut pas vouer silencieusement à l’oubli, c’est la solidarité de toutes les fautes et de tous les crimes, c’est l’immobilité forcée, c’est l’impuissance et c’est la mort. Conclusion logique incontestable de toute l’évolution sacerdotale, qui ne voit dans l’infaillibilité pontificale la tunique de Déjanire, dans laquelle ce lourd colosse doit se consumer et s’anéantir ?

De nombreuses populations suivent encore la direction du prêtre qui répète la parole de Rome. Ce qu’il dit leur importe peu, mais elles croient à l’efficacité de ses manipulations, et, pour les obtenir, elles se confessent à lui. Les classes autrefois dirigeantes croient sincèrement qu’il est bon que le peuple croie et, pour ce motif, font semblant de croire aussi. Elles croient même sincèrement, autant du moins que cela est possible lorsqu’on s’interdit l’examen et que la question de vérité ne se pose plus. Elles croient, pourvu que la religion ne les gêne pas dans leurs affaires et dans leurs plaisirs. Par la vertu de son organisation, le catholicisme est encore un immense pouvoir social ; il consacre les plus généreux dévouements, il en inspire peut-être encore ; mais, empoisonnée par un excès de logique, la pensée s’est retirée de ce grand corps.

II

La distinction tranchée qu’établissent également le catholicisme et l’ancienne orthodoxie protestante entre les vérités naturelles et les vérités révélées ne saurait se défendre que si les conciles œcuméniques étaient les organes certains des révélations surnaturelles, et, même à le prendre sur ce pied, cette opposition ne saurait conserver le degré de rigueur qu’elle avait atteint. Sans entrer dans la question de savoir quel est le rôle du raisonnement, de la spéculation et des