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esprit et en vérité s’est changé en pratiques machinales, et la parole d’affranchissement en servitude universelle, de livrer ma barque à ce fleuve immense de sang, goth, saxon, mauresque, slave, hébreu, languedocien, américain, français, qui coule incessamment de la chaire apostolique à la gloire de Celui qui ne voulut point être défendu par l’épée, de m’enivrer au parfum des bûchers allumés pour maintenir la foi pure au Dieu de miséricorde, et de mesurer les déserts que les messagers de paix ont voués à la malaria et au brigandage dans les plus magnifiques pays du monde ?

Le sens du mot Église ayant changé, la portée des promesses faites à l’Église se modifie pareillement. Leur accomplissement n’est plus compris par ceux mêmes qui ne songent pas à mettre en doute la parole de leur auteur. Toutefois, en se proclamant le dépositaire et l’organe du Saint-Esprit, l’Église avait conservé une faculté d’évolution, de restauration et de progrès qui lui aurait permis de corriger ses erreurs et de travailler avec succès à sa tâche d’affranchissement ; elle aurait pu manifester ce vrai christianisme dont l’obscurcissement avait été peut-être une nécessité temporaire : S’il ne se décompose et s’il ne meurt, le grain ne porte pas de fruit, tandis que la substance nourrissante du grain semé en terre renaît et se multiplie dans l’épi mûr. Mais l’erreur foncière, le préjugé logique, la prétention de tirer régulièrement et de pousser à bout les conséquences de prémisses incomprises a flétri ces espérances. Le prêtre dispose du corps de Dieu, qui, suivant lui, s’est engagé à paraître en tout temps à son ordre et qui ne peut plus y manquer. Le prêtre dispose de l’esprit de Dieu : une décision régulière d’un concile régulièrement convoqué est ipso facto, par la vertu de sa forme même, l’œuvre du Saint-Esprit. Une telle assemblée était infaillible, et si le dernier synode était régulièrement convoqué, ce qu’ont reconnu tous les prélats qui y sont restés et qui, après avoir fait minorité, se sont soumis à ses décisions, le pape, prononçant en vertu de son autorité pontificale, est désormais infaillible, ou plus exactement il l’a toujours été, bien que l’obligation de le croire n’ait pas toujours existé pour le fidèle. Et si l’on rencontre dans l’histoire des décisions papales qui se contredisent, si l’on y voit des papes condamnés par leurs successeurs pour hérésie, comme l’excellent et malheureux Père Gratry croyait en avoir trouvé la preuve dans le Bréviaire romain lui-même, il faut arracher ces pages de l’histoire, elles ne sauraient être vraies ; ce qui est impossible n’a pas eu lieu.

L’infaillibilité est la conséquence logique irrécusable de la possession assurée du Saint-Esprit. Lorsqu’on demande une preuve palpable, indiscutable, matérielle, de la vérité, ainsi que les croyants