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secrétan. — la restauration du thomisme

foule ignorante réagirent sur les docteurs. L’habitude des religions de rites et de sacrifices matériels fixa le sens du baptême que jésus avait conservé et du banquet commémoratif qu’il avait établi lui-même. Le président d’un repas fraternel devint l’organe d’un sacrement nécessaire au salut. Par une usurpation que tout facilitait et que pourtant Rome elle-même n’a pas osé pousser jusqu’au bout, l’administration du baptême fut aussi dévolue aux anciens. Des hommes pécheurs se constituèrent eux-mêmes en canaux des grâces divines, en intermédiaires obligés entre l’homme et son Dieu. Le sacerdoce, contre lequel Jésus-Christ s’était levé et qui l’avait fait mourir, fut établi dans la religion de Jésus-Christ. Le prêtre abattit son joug d’airain sur les fronts que la vérité devait affranchir.

Chacun s’expliquait de son mieux, suivant ses lumières et ses préjugés antérieurs, les merveilleux événements dont le récit, légendaire ou historique, est aujourd’hui consigné dans les Évangiles. Ainsi naissaient spontanément les théologies ; le prêtre en fit bientôt son affaire. Pour exercer une action sur les peuples qu’on voulait atteindre, pour échapper à l’infinie diversité du sens individuel, dont la dispersion et l’anéantissement semblaient l’unique fin possible, il fallait s’expliquer, il fallait s’entendre, il fallait convenir de ce qui serait considéré comme la vérité théologique. Ainsi les sources de l’inspiration furent captées, des canaux réguliers furent tracés à l’Esprit qui souffle où il veut ; on libella le surnaturel, on le moula dans des formes précises ; le dogme ecclésiastique fut arrêté.

L’orthodoxie instituée par les prêtres donna à la prêtrise une consécration, une exaltation nouvelles. L’Église, qui était originairement le corps des Chrétiens, devint le corps du clergé dans sa hiérarchie, appelée de Dieu lui-même à gouverner les fidèles et à mettre le monde entier sous sa domination.

Tout cela était peut-être inévitable, tout cela était peut-être indispensable à la réalisation des fins suprêmes, s’il en est de telles ; tout cela était, si l’on veut, providentiel ; mais, si l’on sent la main de la Providence dans les premiers siècles de notre ère, de quel droit méconnaîtrait-on son action dans les grandes révolutions du xvie siècle, du xviie et du nôtre ? Providentiel ou non, je n’en applaudis pas moins à l’art ingénieux avec lequel, dans la poussière d’un monde écroulé, au bruit de la barbarie envahissante, le sacerdoce a construit son immense édifice sur l’interprétation tendancieuse de deux ou trois textes dont lui-même avait déclaré l’autorité ; je n’en loue pas moins la prudence consommée avec laquelle il a interdit aux troupeaux l’examen de ces fondations le jour où il s’aperçut quela lumière commençait à poindre. Qui m’empêchera d’admirer comment le culte en