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C’est que jusqu’ici la suggestion mentale a été toujours capricieuse, vagabonde, incertaine. On relatait bien des cas merveilleux ; mais on exposait le récit de deux ou trois faits plus ou moins étranges : et cela, sans critique, sans méthode, sans contrôle possible. On n’allait pas plus loin.

Nous avons essayé de procéder autrement, et d’étudier la suggestion comme un phénomène positif, soumis à des lois appréciables. Pour cela nous avons dû répéter et varier les expériences, et de plus employer une méthode qui est bien rarement en usage dans les sciences, la méthode des probabilités.

On conçoit que la méthode des probabilités ne soit guère applicable aux sciences physico-chimiques. Si par exemple un chimiste trouve que l’iodure de sodium est décomposé par le chlore, et que, si l’on fait passer du chlore dans une solution d’iodure de sodium, il se produit du chlorure de sodium et de l’iode libre : il n’y a pas de probabilité qui exprime cette certitude, ou plutôt la probabilité est de . C’est un fait que tout le monde pourra répéter. Chaque fois qu’en solution aqueuse le chlore se trouvera en présence d’iodure de sodium, il y aura formation de chlorure de sodium et d’iode.

Mais pour la suggestion mentale on ne peut procéder ainsi ; car dans une série de vingt expériences, je suppose, elle ne s’exercera d’une manière appréciable qu’une fois par exemple : de sorte que sur vingt expériences on n’aura qu’une seule fois rencontré la suggestion mentale, tandis que dans vingt expériences, comme dans un milliard d’expériences, toujours l’iodure de sodium sera décomposé par le chlore.

C’est que la matière brute est toujours semblable à elle-même, tandis que la matière vivante, et surtout la matière psychique vivante, est essentiellement changeante, à réactions tellement fugitives et faibles que c’est presque un miracle de pouvoir en saisir une au passage.

Voici maintenant ce que je vais essayer de démontrer, en affirmant, non pas la certitude, mais seulement la probabilité de ce que j’avance.

1o  La pensée d’un individu se transmet, sans le secours de gestes extérieurs, à la pensée d’un individu placé près de lui.

2o  Cette transmission mentale de la pensée se fait à des degrés divers chez les divers individus. Il y a des personnes très sensibles, d’autres peu sensibles : peut-être personne n’est absolument réfrac-