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notices bibliographiques

éveillés, l’aptitude à manifester les mêmes phénomènes de suggestion. L’auteur rapporte un grand nombre d’expériences de ce genre, dans lesquelles il a suggéré des mouvements, des modifications de toutes sortes de la sensibilité, etc, On comprend le haut intérêt psychologique de ces faits, que le professeur Bernheim a le mérite d’avoir très bien vus et d’avoir exposés en détail et systématiquement. À la suite de ses recherches, plusieurs expérimentateurs ont confirmé ses observations, — La question est maintenant de savoir si de semblables suggestions ne peuvent pas avoir lieu sur des sujets qui n’auraient jamais été hypnotisés[1].

Au point de vue médical, c’est sur la suggestion, en général, que M. Bernheim s’est fondé pour instituer quelques essais de thérapeutique qui lui ont parfaitement réussi, la guéri par suggestion plusieurs malades atteints d’affections nerveuses (contractures, chorée, etc.).

Ainsi les principaux résultats des recherches du professeur Bernheim ont trait, d’une part, au rôle de la suggestion à toutes les phases du somnambulisme provoqué, et, d’autre part, à cette même suggestion à l’état de veille, — Reste la théorie qu’il a proposée, après avoir rapidement rappelé celles qui se sont déjà produites (historique, ch.  VI), pour expliquer ces faits. S’appuyant sur ses observations, qui lui ont montré que le sommeil profond, l’affaiblissement de la conscience et de la volonté ne sont pas nécessaires à la manifestation des phénomènes de suggestion, il nie que l’hypnotisé ne soit qu’un automate, chez lequel l’influence modératrice des centres cérébraux supérieurs est momentanément supprimée. Il pense qu’il existe seulement chez les sujets hypnotisés « une aptitude particulière à transformer l’idée reçue en acte » ; qu’il y a chez eux « exaltation de l’excitabilité idéo-motrice qui fait la transformation inconsciente, à l’insu de la volonté, de l’idée en mouvement », et que le mécanisme de la suggestion ne consiste que dans l’ « accroissement de l’excitabilité réflexe idéo-motrice, idéo-sensitive, idéo-sensorielle ». À supposer même que tous les faits soient explicables ainsi, se laissent tous comprendre dans cette formule, on pourrait remarquer que le difficile — mais c’est le vrai problème et ce serait la véritable explication — est de déterminer les conditions et la cause de cet accroissement de l’excitabilité cérébrale. C’est d’ailleurs une réflexion analogue qu’implicitement j’émettais ici même en rendant compte des belles recherches psychologiques de M. Ch. Richet sur le somnambulisme provoqué[2]. Aussi bien, M. Richet — et il en est de même sans doute pour M. Bernheim — avait été le premier à faire des réserves sur sa théorie. Évidemment la théorie complète, de tous points exacte, de l’hypnotisme n’est pas encore constituée.

Eugène Gley.

  1. Pour ma part, je crois la chose possible et j’observe depuis quelque temps une jeune femme qui n’a jamais été endormie, et d’ailleurs n’offrant aucune manifestation hystérique, à laquelle je suggère facilement par la parole et le geste différents mouvements et sensations.
  2. V. Revue philosophique de juin 1884.