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mérite singulier d’offrir un examen minutieux, reposant sur un grand nombre d’expériences, de tous les phénomènes relatifs à la suggestion, et de donner une vue d’ensemble de la question ; par suite, il contient des observations neuves, des particularités nouvelles, et surtout il met très bien en lumière le rôle essentiel de la suggestion dans la production et dans le développement des états mentaux si curieux qui constituent l’hypnotisme à ses divers degrés. C’est là le plus important résultat, ce semble, de cet ouvrage. Aussi en a-t-on été très généralement frappé et l’attention, qui depuis quelques années se porte si vivement sur l’hypnotisme, en a-t-elle été encore augmentée[1].

M. Bernheim démontre par de nombreuses expériences qu’il peut y avoir suggestion dans toutes les phases du sommeil provoqué et que les contractures et les paralysies, bref tous les phénomènes musculaires qu’on observe dans les états décrits sous les noms de catalepsie et de léthargie, sont dus simplement à des suggestions. « L’idée du phénomène introduite par la parole ou un geste compris dans le cerveau de l’individu » une expérience suffit à la production du phénomène. — Il y a là une interprétation de beaucoup des faits constatés dans l’hypnotisme, qui s’écarte sensiblement de celle que, grâce aux travaux du professeur Charcot et de son école, on est en général porté à admettre. Pour la raison qui a été dite au début de cet article, on n’entrera pas ici dans la discussion des deux théories ; mais il convenait, ce me semble, de les signaler. — Tout récemment encore, au Congrès de l’Association française pour l’avancement des sciences[2], M. Bernheim insistait sur le rôle exclusif de la suggestion dans la production de tous les phénomènes hypnotiques. Pour lui, d’ailleurs, le sommeil même est amené par suggestion : c’est, dit-il, « l’image du sommeil que je suggère, que j’insinue dans le cerveau. » Et il décrit longuement la méthode dont il se sert pour endormir, après le Dr Liébeault qui l’a imaginée et en use à Nancy depuis plus de vingt ans[3]. — Bien entendu, ce ne sont pas seulement des mouvements, des actes plus ou moins compliqués que suggère le professeur Bernheim, ce sont aussi des sensations de toute nature, des illusions sensorielles, des hallucinations diverses. — Dans le même ordre de faits, il importe encore d’indiquer ce que l’auteur appelle les hallucinations ou suggestions négatives et les hallucinations rétroactives (p. 26-28 et p. 98-100).

Le Dr Bernheim n’a pas moins fortement remarqué l’importance de la suggestion à l’état de veille. Beaucoup de sujets antérieurement hypnotisés peuvent, sans être hypnotisés de nouveau, avoir, quoique bien

  1. Voir les communications et les discussions qui ont eu lieu, non plus à l’Académie des sciences ou l’Académie de médecine, mais jusque dans l’Académie des sciences morales et politiques au mois d’avril dernier, et les intéressants articles de M. Janet, Revue polit. et littér. des 26 juillet, 2 août, 9 août, 16 août 1884.
  2. A Blois, séance du 8 septembre.
  3. Liébeault, Du sommeil et des états analogues considérés surtout au point de vue de l’action du moral sur le physique, Paris, 1866.